Page:Le Ménestrel - 1896 - n°26.pdf/8

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
208
LE MÉNESTREL

ment à telle ou telle des nations musicales de l’Europe. Voici tout au moins une lacune comblée en ce qui concerne l’Allemagne, dont l’importance n’a pas besoin d’être démontrée sous ce rapport. La besogne ici n’était point commode, et M. Soubies s’en est acquitté en conscience et avec le soin le plus scrupuleux. Partant des origines mêmes de l’art dans le pays qui a surtout donné un développement si admirable à la symphonie et à l’oratorio, rappelant les services rendus dans l’enfance de cet art par les minnesinger et les meistersinger, l’auteur nous met au courant des travaux aujourd’hui oubliés des artistes qui ont été les précurseurs de cette grande lignée de créateurs auxquels pendant deux siècles l’Allemagne a dû une gloire impérissable et dont les noms sont dans toutes les mémoires : les Bach, Haendel, Haydn, Gluck, Mozart, Beethoven, Weber, Schubert, Mendelssohn, Schumann, Wagner et tant d’autres. Mais il ne faut pas croire que M. Soubies s’est borné à rendre à tous ces artistes incomparables l’hommage qu’ils méritent. À côté des créateurs, il a fait à leurs interprètes, aux chanteurs, aux virtuoses, la place qui leur est légitimement due et qu’ils ont droit d’occuper dans une histoire sérieuse et impartiale. Il n’a pas oublié non plus les compositeurs qui ont brillé dans des genres secondaires, tels que le lied, la chanson, la musique de danse, etc. Enfin, s’il nous met au courant de ce qui s’est fait à l’église, au concert, au théâtre, il ne néglige pas les côtés en quelque sorte secondaires de son sujet, nous indique les progrès accomplis dans la facture instrumentale, nous rappelle les noms des grands éditeurs auxquels on doit les publications admirables consacrées aux œuvres des grands maîtres, nous entretient des travaux des théoriciens, des critiques, des historiens, et n’oublie rien, en définitive, de ce qui se rattache au sujet si complexe et si abondant qu’il avait mission de nous faire connaître en ses multiples détails. Si j’ajoute que le livre de M. Soubies est orné d’une centaine de gravures qui lui servent de véritable complément historique, je crois que j’aurai donné une idée suffisante de sa valeur et de l’intérêt qu’il doit inspirer.

A. P.

— Hier samedi a dû avoir lieu, avec le concours de M. Ch.-M. Widor, le quatrième festival de l’Exposition de Rouen. Le programme comprenait : 1o 3e symphonie pour orgue et orchestre, de M. Widor, l’orgue étant tenu par l’auteur ; 2o Danses anciennes, par Mlles Peppa et Invernizzi, en costumes Louis xv ; 3o divers morceaux de Couperin, J.-S. Bach, Haendel, Martini, Daquin, etc., exécutés par la Société des instruments anciens de MM. Diémer, Delsart, van Waefelghem et Grillet.

— La première chambre du tribunal de la Seine a indiqué pour le 22 juillet un procès que la famille de M. Wilder intente à Mme Cosima Wagner. Elle lui reproche d’avoir autorisé la représentation des Maîtres chanteurs et de plusieurs autres œuvres de Wagner avec une traduction de M. Ernst et revendique pour elle seule le monopole de la traduction, tout au moins en France.

— Un nouvel engagement à l’Opéra-Comique, celui de M. Fernand Lucenay, ténor, qui débutera au commencement de la saison prochaine. Ce sera, si nous comptons bien, le huitième ténor de la saison, avec MM. Gérome, Leprestre, Clément, Mouliérat, Maréchal, Carbonne et Vialas. Et encore en oublions-nous un neuvième, dont le nom ne nous revient pas.

— Nous apprenons que M. Eugène Lacroix, compositeur de musique et organiste des concerts Lamoureux, vient d’être nommé titulaire du grand orgue de Saint-Merry. Il y eut d’illustres prédécesseurs, Couperin, Chauvet, Saint-Saëns entre autres.

Mlle Fanny Lépine, la distinguée cantatrice dont on se rappelle les succès à la Société des concerts du Conservatoire, a donné cet hiver chez elle de très remarquables auditions, consacrées à l’exécution du deuxième acte entier du Roi l’a dit, de Delibes, de l’Eloa de Ch. Lefebvre et d’œuvres inédites de notre confrère Henry Eymieu. Les interprètes, élèves du cours de chant de Mlle Lépine, Mlles Hautier, Créhange, Nivert, Ladame, Crane et MM. Vuillaume et Hermann, violonistes, Dumoutier, Edwy, Debay, Berton, pour la plupart prix du Conservatoire y compris Mme Luce Rousseau, pianiste, ont donné de ces ouvrages des exécutions non loin d’être parfaites et sous l’habile direction de Mlle Lépine ou des auteurs eux-mêmes.

— Mardi 23, soirée donnée par M. Paul Braud à la Bodinière pour faire entendre quelques élèves se destinant à la carrière artistique. — Grand succès pour Mlle Éléonore Blanc et M. Engel dans l’air de Xavière, (Ah ! quelle fraîcheur) et dans le duo qui suit, qui a été bissé d’acclamations. Après plusieurs rappels, Mlle Blanc et M. Engel ont dû chanter de nouveau la Chanson de la grive du même ouvrage, dans laquelle ils ont obtenu un énorme succès et encore des rappels. — Mlle Blanc a délicieusement chanté aussi Brunette et Par le sentier, de l’auteur de Xavière. Tous nos compliments aux jeunes élèves, qui font honneur à leur maître. À signaler particulièrement M. Marcel-Samuel Rousseau, le fil du compositeur bien connu, dans Chaconne (Th. Dubois) et Caprice-Valse (Samuel Rousseau), M. René Vanzande (Source enchantée de Théodore Dubois), Mlle B. Augier (Esquisse et Scherzetto des 12 petites pièces, Th. Dubois), Mlle M. Boulet (l’Allée solitaire), Mlle Renée Peltier (les Myrtilles). — On a chaleureusement applaudi Humoresque et Sérénade en trio (Ch.-M. Widor), admirablement bien interprétées par Mme Letalle, MM. Carembat et Casella, et pour finir, Mlles Augier, Peltier, Boulet et M. Vanzande ont enlevé leur auditoire avec l’intincelante danse des Saturnales, des Erinnyes, transcription à 8 mains par J. Taravant.

— Très vif succès pour Mlle Bressolles à la matinée donnée par Mme Paulet-Marie. Elle y a chanté, en outre de l’air de Faust, la Pensée d’automne de Massenet, l’Heure exquise de Reynaldo Hahn et deux des délicieuses Chansons d’enfants d’Édouard Grieg.

Mlle Cadot, qui continue à Versailles les traditions de l’école Marmontel, a réuni jeudi dernier, 62, rue de l’Orangerie, un groupe nombreux de ses élèves, qui toutes, suivant leur degré de force, ont fait apprécier la correction de style et les qualités d’exécution qui caractérisent son enseignement. Marmontel père, présent à cette audition, était heureux d’adresser les encouragements et les éloges à ces jeunes pianistes qui, par leur bon travail et leurs louables efforts, répondent aux soins affectueux et dévoués de leur excellent professeur.

— La causerie-conceert de Mme Leo de Broc, donnée lundi dernier à la salle Rudy, a été le sujet d’un ovation pour l’artiste, qui a développé son nouveau système pour faciliter et abréger les études du piano et a joué avec beaucoup de verve une polonaise de sa composition. — Au programme, Mlles Leandry et Kerrion, dont le succès a été très grand, ainsi que M. Maignien, qui a interprété sur la harpe deux charmantes compositions de Bourgault-Ducoudray.

NÉCROLOGIE

Sir Augustus Harris, le célèbre manager anglais, a succombé à Folkestone aux suites du diabète qui le minait depuis quelque temps déjà. Né à Paris en 1852, Harris avait fait ses études au collège Chaptal et obtint une place de correspondant pour les langues étrangères dans une grande maison de banque. Mais il avait hérité de son père un vif penchant pour l’art, théâtral et en 1873 il débuta à Manchester dans un rôle secondaire de Macbeth. M. Mapleson lui découvrit un grand talent de régisseur et l’engagea pour ses entreprises d’opéra. Quelque temps après, Harris quitta Mapleson pour reprendre, au théâtre de Saint-James, les Danicheff avec les artistes de l’Odéon. Le succès de cette entreprise fut grand, mais Harris n’en retourna pas moins au théâtre comme acteur et joua en 1877, avec succès, un rôle dans la pièce le Domino rouge. Il remarqua cependant bien vite que sa vocation l’appelait ailleurs. Après avoir donné une pantomime au Palais de Cristal, Harris prit, en 1879, le théâtre Drury Lane, où tant de fortunes s’étaient déjà englouties. Son futur beau-père, M. Rendal, lui avança les fonds nécessaires, et l’entreprise fut couronnée d’un succès complet. Tout réussit à l’heureux directeur, qui possédait au plus haut degré ce qu’on appelle « le flair » pour trouver les pièces qui devaient plaire à son public, sans jamais s’inféoder à aucune école et à aucun genre. Cet éclectisme fut aussi une des raisons de son succès comme entrepreneur d’opéra. C’est en 1887 qu’il entreprit de relever l’Opéra italien à Londres, à un moment où il était en décadence complète et semblait perdu à tout jamais. Harris devait en effet subir des pertes considérables pendant sa première saison, mais l’année suivante il prit sa revanche, grâce au concours de Mme Albani et des frères de Reszké. Il réalisa des bénéfices importants, quitta alors le système dit des « étoiles » et offrit au public de Londres des représentations d’opéra avec des interprètes hors ligne dans tous les rôles et une mise en scène somptueuse. Mmes Albani, Nordisca, Sigrid Arnoldson, Minnie Hauck, Van Zandt, Calvé, Marie Roze et Sybil Sanderson, MM. Jean et Édouard de Reszké, Maurel, Lassalle, Plançon et beaucoup d’autres artistes renommés furent ses pensionnaires. Harris rompit le premier avec la tradition séculaire, à Londres, de jouer l’opéra exclusivement en langue italienne, et introduisit l’usage de la langue française. Non seulement les œuvres françaises furent jouées en français, mais aussi quelques œuvres allemandes, comme Lohengrin et la Valkyrie par exemple. Harris avait conservé une grande prédilection pour Paris — il disait un jour qu’il avait aussi souvent traversé la Manche que le pont de Waterloo — et pour l’art français. Dans les derniers temps, il se glorifiait volontiers d’avoir joué pour la première fois la Navarraise, de Massenet. Mais son opéra de Covent garden ne suffisait pas à son activité dévorante et Harris menait de front, en même temps, le théâtre de Drury Lane, Her Majesty’s, Olympia, deux ou trois autres endroits où l’on s’amuse et plusieurs entreprises théâtrales en province. Plusieurs pantomimes et plusieurs pièces qu’il a écrites en collaboration avec divers auteurs réclamaient également son temps et son travail. En 1890, Harris, qui était très populaire à Londres, surtout dans le grand monde, fut élu shériff pour le district du Strand, et c’est en cette qualité qu’il fut nommé Chevalier par la reine Victoria, à l’occasion de la visite de son petit-fils Guillaume ii d’Allemagne, en 1891. Malheureusement, sir Augustus Harris avait trop chauffé la machine et sa mort prématurée, que les amis de l’art théâtral déplorent même en dehors de l’Angleterre, prouve de nouveau que tout se paie en ce bas monde, même et surtout l’extraordinaire succès.

O. Bn.

Henri Heugel, directeur-gérant.

On achèterait piano Érard dem. queue pas vieux, 6, r. Villersexel. Duber.


Deux fonds d’éditeurs de musique à vendre. — S’adresser à M. Ikelmer, 7, rue de Clichy, Paris.