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le lyon de nos pères

et ses pittoresques sinuosités donnent à la perspective un charme de variété et d’imprévu. Sans souci de la régularité ni de l’alignement, les façades vont se chevauchant d’un bout à l’autre ; les plus modestes comme les plus élégantes acquièrent ainsi, dans l’harmonie des profils, une valeur indépendante de la

richesse des détails. La rue se déroule et change d’aspect à mesure que l’on avance ; c’est une succession de silhouettes qui s’impriment dans la mémoire ; on les revoit avec le plaisir que l'on éprouve à retrouver des objets familiers ; vous les aimez parce qu’elles arrivent presque à faire partie de vous-mêmes. C’est par toutes ces choses indéfinissables, mais senties de tous, que, malgré leurs verrues, les vieilles villes nous sont chères ; voilà ce que ne comprendront point les implacables constructeurs des cités uniformément rectilignes du xixe siècle.


Sur le bord de la Saône, un fouillis de petites masures étroitement pressées plongent leurs fondations dans la rivière et mirent dans l'eau verte leurs chancelantes galeries de bois, où sèchent des laques de couleur, leurs escaliers branlants et leurs portes basses s’ouvrant sur le courant ; aux fenêtres, on aperçoit çà et là un pot de fleur, et des têtes curieuses, penchées vers le spectacle prodigieusement animé que présente, à toutes les heures du jour, la grande route mouvante de la Saône : arrivée et départ des trains de bateaux, chargement des marchandises, mouvements rythmiques et appels retentissants des mariniers, courses vagabondes des bèches aux arceaux couverts de toile blanche, qui viennent aborder au petit port du Sablet, où les batelières font leurs caquets autour de la vieille croix de pierre, et où, chaque année, au Jeudi Gras, la jeunesse vient, au son des hautbois, danser des rondes. Et le long de la rive, c’est un encombrement de pilotis vermoulus, de plattes aux toits difformes, de barques amarrées au pied des maisons ; plus loin, se dessine la courbe gracieuse de la Saône vers la porte Saint-George et la Quarantaine. Le tableau est d’un pittoresque achevé.

Derrière cette rangée de maisons, la rue des Prestres s’allonge, parallèlement à la rivière,