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le lyon de nos pères

de Chevrières, devenu l’hôtel de la Poste, sera le point de départ et d’arrivée des courriers ; les échos du cloître retentiront du bruit des voitures et des chevaux, des claquements de fouet des postillons, jusqu’à ce que, en 1770, le bureau général des Postes soit transféré rue Saint-Dominique. — La plupart des maisons canoniales seront louées ou même vendues à des laïques. Rien ne distinguera plus la petite cité ecclésiastique des autres quartiers de la ville. Vienne la Révolution, elle n’aura qu’une page lugubre à ajouter à ses annales, lorsque la Cathédrale devra subir les profanations sacrilèges de la Fête de la Raison et les stupides ravages de la Terreur.


En sortant du cloitre par la Brèche, nous rencontrons un bon chanoine, en long manteau et petit collet, qui vient de visiter quelque gros bourgeois ou quelque abbé de l’un des couvents de la ville haute, et rentre tranquillement sur sa mule à son logis. Le cardinal-archevêque Alphonse de Richelieu, lui-même, « monte par la ville un mulet, comme un médecin ». Les rues sont, d’ailleurs, si malpropres, même en été, que les gens de qualité ne sortent guère qu’à cheval. « On nage dans les boues — écrit le cardinal — en en temps même que le soleil nous brusle… L’odeur qui en sort est capable de faire naître et de nourrir la peste… » — Engageons-nous à notre tour dans le dédale des petites rues qui avoisinent le cloître. Nous voici dans la rue Tramassac, étroitement resserrée entre la colline et la muraille. Une partie de cette rue a porté autrefois le nom de rue de la Bombarde, qui appartient maintenant à celle qui longe l’enceinte au nord, depuis le bas du Chemin-Neuf jusqu’à la rue Porte-Froc ; il y existait, au commencement du xvie siècle, une école, dirigée par le Normand Guillaume Ramèze, laquelle dut disparaitre peu de temps après la création du Collège de la Trinité. La rue Tramassac est bordée de plusieurs belles maisons, habitées par la grande bourgeoisie ; quelques-unes datent du xve et du xvie siècle ; d’autres, bâties au temps de Henri IV et de Louis XIII, sans revêtir la même élégance, ont encore grande allure, avec leurs lignes correctes et sobres, leurs frontons et leurs portes encadrées de gros bourrelets de pierre (n° 12) ; et le contraste est curieux entre ces habitations luxueuses, dont les dernières sont encore blanches, et la sombre muraille du cloitre, d’aspect fruste et barbare, aux parois ventrues, inégales, dégradées par places. Ce contraste, nous le trouverons partout. A côté des rues marchandes aux boutiques engageantes et aux enseignes coloriées, à côté de beaux hôtels ou de riches monastères, nous rencontrerons d’affreuses ruelles, éternellement privées de soleil, des carrefours aux façades lépreuses, des maisons noires et sordides, suant l’humidité et la misère.

Presque à l’extrémité de la rue Tramassac, du côté du Chemin-Neuf, l'hôtel du Petit-Versailles (n° 6), qui servira de casernement aux cavaliers de la Maréchaussée, nous montre, dans sa vaste cour, un bel escalier renaissance voûté à arc rampant, un spacieux bâtiment à double rang de colonnes, qui fut apparemment destiné à une chapelle et qui servira plus tard d’écurie, enfin des jardins élevés en terrasses. En face de la Brèche, cette maison à deux pavillons, bâtie en retrait, doit faire une charmante demeure, avec sa cour fermée par un portail de pierre, son escalier extérieur à double rampe et ses fenêtres à croisillons. Plus loin, nous voyons des impostes en ferronnerie, travail exquis de la Renaissance (n° 18). La plupart des constructions adossées à la colline sont d’une remarquable architecture. Si la façade, parfois remaniée au goût du temps, qui répudie le gothique, ne les signale pas à l’attention des passants, l’ornementation