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le lyon de nos pères

est fermé par la tribune du haut de laquelle le diacre lisait l’épitre ou l’évangile, que l’évêque expliquait ensuite au peuple. Les restes d’un pavé en mosaïque et, dans la chapelle de la Croix, d’admirables vitraux du xve siècle, dus à l’archevêque Amédée de Talaru et représentant le martyre de saint Étienne, achèvent de donner un caractère profondément vénérable à cette vieille église, qui a gardé de son ancienne primauté certains privilèges : on n’y enterre jamais personne, et l’on n’y dit jamais de messes de morts.

Un couloir, où se trouve une chapelle, relie Saint-Étienne à Saint-Jean ; les trois églises communiquent ainsi de l’une à l’autre, du nord au midi. Cette curieuse particularité donna lieu, en 1625, à une plaisante aventure, le jour où le cardinal Barberini, légat du pape Urbain VIII, fit son entrée dans le cloitre. Un très ancien usage donnait, au premier qui pouvait s’en emparer, la mule sur laquelle était monté l’ambassadeur du pape et le dais sous lequel il marchait. Apprenant que deux « parties » s’étaient formées pour avoir sa mule, le cardinal fit en sorte d’éviter l’assaut de la foule et le désordre ; à un signal que lui donna le marquis de Villeroy, il descendit devant la porte de Sainte-Croix, y pénétra subrepticement, puis il se fit conduire, en passant par Sainte Croix et Saint-Étienne, à la Cathédrale de Saint-Jean, d’où il put sans encombre se rendre à l'Archevêché. Toutefois, ni le dais ni la mule n’échappèrent aux convoitises de la foule : l’un « fut déchiré en pièces par ceux qui en purent avoir », l’autre « fut enlevée par ceux de la partie de Brocquin, qui se trouva la plus forte ».

Nous nous retrouvons maintenant au pied de la noble basilique, œuvre patiente et magnifique de quatre siècles et de dix générations. Au-dessous de ses quatre tours ajourées, qui dominent de cent pieds les petites maisons canoniales, c’est une forêt de légers pinacles abritant de belles statues de patriarches et de prophètes ; ce sont d’immenses baies, de grands fenestrages aux lignes ogivales d’une suprême élégance. Sur les contreforts, on distingue des figures d’anges, des silhouettes de bêtes apocalyptiques ; au pourtour de l’abside, s’accrochent des gargouilles en forme de monstres à la gueule menaçante.

La façade, cruellement mutilée par les hordes calvinistes, montre, au sommet du gâble et dans le tympan, les statues brisées du Père Éternel, de la Vierge et de l’Ange Gabriel, œuvres de Huguenin Navarre, sculpteur lyonnais du xve siècle ; les trente-deux niches des portails sont demeurées vides ; presque rien n’est intact de ces naïfs et charmants bas-reliefs, de ces cent quarante médaillons où la féconde imagination des tailleurs d’images s’est donné libre carrière à reproduire les histoires de saint Pierre et de saint Jean l’Évangéliste, les premiers événements du monde, les scènes du Vieil et du Nouveau Testament, et de terribles légendes comme celle de cet homme qui se vendit au diable par l’entremise d’un juif, ou l’histoire de ce diacre d’Adane à qui la Vierge fit restituer une cédule qui le livrait à Satan. Du moins, les voussures ont conservé leurs guirlandes de feuillage et les culs-de-lampe historiés leurs curieuses figures de saints personnages, d’anges jouant de divers instruments ; les niches ont toujours leurs gracieux pinacles aux délicates broderies ; au-dessus des arcatures aveugles servant de frise au premier étage, la belle galerie à balustrade ajourée, où l’on voit, penchés sur le vide, les animaux fantastiques des gargouilles, montre encore ses élégants clochetons ; enfin, la superbe rosace de vingt-cinq pieds de diamètre, tracée par le maître de l’œuvre Jacques de Beaujeu, s’épanouit dans toute sa splendeur,