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le lyon de nos pères

collation à l’ordinaire, et quand la reine donnoit le bonsoir pour se coucher, il les remenoit. Au commencement il suivoit leur carrosse, puis il servoit de cocher, et à la fin il se mettoit dans le carrosse et les soirs qu’il faisoit beau clair de lune, il faisoit quelques tours en Bellecourt ». Après la rupture définitive du projet de mariage avec la princesse Marguerite de Savoie, c’est encore à Bellecour que se produira un curieux incident rapporté par Melle de Montpensier et qui trahit la blessure profonde causée par cet échec à la famille royale de Piémont. Sur le point de retourner au delà des monts, le frère de la princesse, « M. de Savoye, fit force passades dans la place de Bellecourt, sauta fort par-dessus de petites murailles qui sont au mail, et dit, en partant : « Adieu, France, pour jamais ; je te quitte sans regret. »

Nous retrouverons plus tard la place Bellecour transformée, lorsque, au commencement du xviiie siècle, les Lyonnais y auront élevé la statue équestre du grand roi et lui auront donné le nom de place Louis-le-Grand.

Poursuivant notre route en compagnie de nos voyageurs, nous rencontrons, à quelques pas, au nord-ouest de la Maison-Rouge, et prenant jour à la fois sur Bellecour et sur la Saône, un bel hôtel à terrasse, flanqué de deux pavillons et entouré d’un mur qui ne laisse qu’un étroit passage à l’issue de la place ; la façade principale regarde le Port-du-Roi. Il a été construit, en 1614, par Pierre de Chaponay-Feyzin, sur un emplacement successivement occupé par l’hôtel de la « Franchisserie », puis par le « château de Rontalon », et en dernier lieu par un beau jardin où l’archevêque, à qui il appartenait, et les nobles chanoines-comtes de Saint-Jean, qui en avaient avec lui la jouissance exclusive, venaient, pendant la belle saison, se reposer de leurs travaux. La nouvelle habitation porte le nom de Petit-Louvre, depuis un événement qui s’y est accompli et qui frappa vivement les esprits, ainsi qu’en témoignent les écrits du temps. Louis XIII était venu y prendre logis, le 7 août 1630, à son retour de la Savoie qu’il venait de soumettre à nouveau. Le 22 septembre, le roi tomba dangereusement malade ; le 30, on le tint pour mort. L’illustre évêque de Genève, François de Sales, mort huit années auparavant au couvent de la Visitation de Sainte-Marie de Bellecour, était, à cette époque, en grande vénération, et l’on citait des miracles dus à son intercession. La reine et la reine-mère, consternées de l’état désespéré du roi, envoyèrent quérir par les aumôniers de la cour le cœur de François de Sales, qui était conservé au monastère de Sainte-Marie. A peine, dit une relation contemporaine, le roi eut-il fait toucher cette relique « à cette partie de son corps où il sentoit les plus vives douleurs, qu’il s’écria de joye : Je suis guéry. Il soupa le soir même, et se trouva en estat de partir peu de jours après. » Convaincu qu’il devait son prompt rétablissement à l’intercession du saint — et toutes les relations s’accordent sur ce point que la guérison fut soudaine — Louis XIII fit présent aux religieuses de la Visitation d’un reliquaire d’or aux armes de France. C'est depuis ce séjour du roi que l’hôtel de Rontalon s’est appelé le Petit-Louvre ; il recevra plus tard le nom de Palais-Royal, qu’il gardera quand il deviendra, au commencement du xixe siècle, d’abord un hôtel de voyageurs, puis, exhaussé et défiguré, une simple maison de location.

Laissant à droite le Port-du-Roi et son bureau de douane, nous allons maintenant traverser le Pont-de-Bois de Bellecour. Il est formé par une porte dont la bâtisse est attenante au mur d’enceinte du Petit-Louvre ; un droit de passage est prélevé à entrée. C’est le premier pont permanent qui