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le lyon de nos pères

se lassent pas de contempler cette « grande plaine » couverte de gazon, « assez spacieuse pour y ranger plusieurs régiments », et « non moindre que le grand Champ-de-Mars célèbre à Rome ». Ce ne sont point des maisons vulgaires qui l’environnent : « ce sont des palais ». Et puis, à toute heure du jour, on voit

passer là des cavaliers, des carrosses, les chaises, portées par deux laquais, des nobles dames allant faire leurs oraisons, de l'autre côté de la place, au monastère de Sainte-Marie où à celui de Sainte-Élisabeth (au sud des bâtiments de la Charité) ; des gentilshommes, portant manteau de velours où de taffetas, bottes blanches garnies d’éperon, longue épée au côté, moustaches retroussées et barbe en pointe, qui s'avancent galamment en tendant le jarret, courbant l'échine et inclinant jusqu’à terre leur chapeau ombragé d’un panache ; plus loin, un bourgeois et sa femme, s’en allant à leur maison des champs, tous deux montés sur le même cheval revêtu d’une longue housse carrée de drap ; enfin dans la première allée de tilleuls, les joueurs de mail se livrant à leur exercice favori, au milieu des chocs de boules et des bruits de voix : et à ce tableau si varié, le coteau verdoyant de Fourvière fait un cadre ravissant. — Combien d’illustres personnages, combien d’obscures multitudes n’ont pas déjà foulé l’herbe de Bellecour ? Avant que le roi Henri IV y ait couru la bague et en ait fait une place d’armes, le baron des Adrets y avait installé son artillerie, lorsqu’il avait occupé la ville au nom des Protestant; les lyonnais y ont célébré la victoire de Jarnac par des illuminations et des artifices où étaient simulés la prise et l'incendie d'un château fort symbolique ; depuis lors, ils y vont parfois écouter les boniments des saltimbanques, ou voir piquer des chevaux par des écuyers italiens. C'est là que, chaque année, se fait l’adieu du Carnaval. Dans les beaux jours, la place Bellecour fourmille de promeneurs ; le soir, quand il y a quelque fête, elle se remplit d’une foule joyeuse, qui vient jouer et danser. Depuis la noblesse jusqu’au menu peuple, la ville entière se rend « sous les Tillots ». On y donne des sérénades ; il s'y tient des concerts ; on y « voit mille beaux visages et mille personnes lestement vestues », — de ces « beaux animaux » auxquels M. d’Halincourt fait allusion dans une lettre au cardinal-archevêque de Richelieu ; — enfin, il s’y pratique « toutes sortes d’honnestes galanteries ». Trente ans après, Mme de Coulanges mandera à Mme de Sévigné :