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le lyon de nos pères

galerie à mâchicoulis, couronnée d’une toiture percée de lucarnes à fronton triangulaire. À gauche, s’avance un large bastion. À droite, contiguë à la porte et plongeant elle-même dans le fleuve, apparait, avec sa tour carrée, la chapelle du Saint-Esprit, fondée à la fin du xive siècle par la célèbre confrérie qui avait pour but de fournir à l’œuvre du pont du Rhône des ressources et des bras.

C’était à cet endroit du pont, et dans ce cadre pittoresque, qu’avaient eu lieu, depuis Louis XI jusqu’à Louis XIII, les réceptions solennelles des souverains et des grands personnages arrivant par les routes du Dauphiné avec leur suite de princes et de gentilshommes ; c’était là qu’ils avaient été harangués par le clergé et les autorités civiles, là que s’étaient formés les brillants cortèges décrits par nos annalistes ; c’était de là que, au milieu des acclamations du peuple, les rois avaient été conduits, sous le dais en drap d’or fleurdelisé porté par quatre conseillers de ville, à travers les rues décorées de tapisseries et d’arcs de triomphe. Cet endroit aussi avait été témoin de scènes lugubres et tragiques : l’arrivée, au milieu de la nuit, des messagers de Francois Ier, courant annoncer à la reine mère le désastre de Pavie et la captivité du roi ; l’exposition, au bout d’une lance, de la tête du malheureux Montecuculli, accusé à tort d’avoir empoisonné le Dauphin François ; l’entrée, à minuit, d’une troupe de soldats du baron des Adrets venant donner aux protestants cachés dans les murs de Lyon le signal de la guerre civile ; l’assassinat d’un gentilhomme dauphinois, « dagué » et jeté dans le fleuve sur l’ordre d’un capitaine pennon ; la noyade, exécutée par une populace furieuse, des cadavres de plusieurs huguenots. C’était encore à cette place que les bourgeois de Lyon, abandonnant le parti de la Ligue après l’abjuration de Henri IV, avaient désarmé les gardes et, au cri de : « Vive la liberté française ! » livré passage aux soldats du maréchal d’Ornano. Enfin, c’était contre le mur de cette porte que viendraient s’écraser, au retour de la fête de Bron, les deux cent seize victimes de la catastrophe du 11 octobre 1711.

Un étroit et sombre couloir, gardé par une seconde sentinelle, conduit de l’autre côté de la porte, qui est fermée par une barrière à claire-voie abritée d’un auvent. Là, divers bâtiments faisant corps avec la porte encombrent les abords du pont. À droite, c’est la chapelle du Saint-Esprit, aux verrières ornées d’écussons armoriés, devant laquelle, pendant trois siècles et jusqu’aux troubles de la Ligue, avait commencé, chaque année, le jour de la Pentecôte, après l’office de la confrérie, la fameuse mascarade du Checal fol, qui allait se terminer au confluent d’Ainay ; on lit sur la tour une ancienne inscription en mémoire du pape Innocent IV : pontem petrarum construxit pons animarum

Une autre, plus récente, rappelle qu’en l’an 1619 et le neuvième du règne du roi Louis XIII, messire Nicolas de Neufville, marquis de Villeroy, gouverneur, les prévôt des marchands et échevins ont, « pour la commodité et sûreté du public, faict rebastir porte ». Dans un coin, sur une console fixée au