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le lyon de nos pères

occupées par les habitations particulières n’offraient pas le moins intéressant coup d’œil. Elles étaient construites sans plan, sans règle ; chacun avait bâti sur son terrain, en suivant les ondulations des anciennes voies et sans trop s’assujettir à l’alignement, de sorte que, vues des hauteurs, elles semblaient jetées pêle-mêle, dans un enchevêtrement indescriptible. En outre, les rues étaient fort étroites, si étroites pour la plupart que les voitures y étaient inconnues et que deux mulets avec leur charge avaient de la peine à y passer de front ; non moins tortueuses qu’irrégulières, elles formaient, par endroits, de minuscules carrefours pompeusement baptisés, à la mode italienne, du nom de places. Et, comme il n’y avait point d’espace à perdre, les maisons envahissaient jusqu’aux berges de la Saône ; elles se disputaient la moindre parcelle de la rive, plongeaient leurs fondations dans l’eau, en dépit des menaces d’inondations périodiques, et avançaient jusque sur le courant leurs galeries de bois ; à défaut de sécurité, les pauvres habitants de ces maisons demi-lacustres avaient de l’air, de la lumière, et jouissaient du spectacle sans cesse renouvelé de la vie active des ports.

Rien de plus varié d’aspect que les constructions du Lyon d’alors. Il y en avait de très basses et de très hautes ; un grand nombre n’avaient qu’un ou deux étages ; beaucoup en avaient trois et même quatre ; quelques-unes de celles qui étaient adossées à la colline de Fourvière s’élevaient jusqu’à six ou sept étages, communiquant de plain-pied par des terrasses avec des escaliers ou des montées que l’on voyait serpenter à pic le long du coteau. Presque toutes les constructions étaient en pierre, sans enduit ; les plus riches, en belles pierres de taille ; les autres, en petits moellons tantôt taillés, tantôt bruts, ou même, les bicoques des quartiers pauvres, en vulgaires galets tirés du Rhône. Chétives, misérables, les maisons habitées par les affaneurs, les gens des ports, le bas peuple, véritables ruches humaines, se serraient les unes contre les autres, montrant leurs rangées d’étroites façades où il y avait à peine place pour deux petites fenêtres. Plus loin, les beaux hôtels de la Renaissance, les spacieuses demeures de la riche bourgeoisie, élevées tout récemment dans les nouveaux quartiers, rivalisaient avec les édifices publics par leur allure monumentale et le bon goût de leur architecture. Au-dessus de larges toits plats couverts de tuiles brunes, s’élançaient des tours renfermant pour la plupart un « advis », ou montée d’escalier, destiné à desservir les étages ; rondes, carrées, octogones, terminées en cônes ou en pyramides et surmontées de girouettes, quelquefois crénelées, garnies de meurtrières, couronnées d’un belvédère d’où la vue s’étendait sur la ville et les coteaux, ces tours donnaient un caractère de noblesse à la physionomie des édifices, elles ajoutaient à la perspective un accent pittoresque, et quand leurs revêtements de tôle ou de tuiles vernies étincelaient au soleil, on eût dit que Lyon possédait dans son enceinte des milliers de clochers. Et, en effet, lorsque venait à sonner l’angélus de midi, c’étaient, de tous les points de la ville, des tintements de cloches s’envolant des églises, des abbayes, des monastères, des chapelles, et ces aériennes sonneries dominaient un instant les bruits confus qui montaient de cette grande ville de cent mille âmes, au delà du grand fleuve grondant sous les arches du vieux pont, et des gros moulins, amarrés sous les courtines du Rhône, dont les roues, tantôt bruyantes et tantôt silencieuses, annonçaient aux étrangers, avant même qu’ils eussent franchi les portes, l’abondance ou la disette.

Tel était l’aspect extérieur de la ville à la fin du règne de Louis XIII. Au dire de l’Allemand