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le lyon de nos pères

quelques pas plus loin, l’hôtellerie du Porcelelet, ayant pour enseigne un porc sellé. Cette maison, qui joint, au midi, les dépendances de l’ancien hôpital, communique par derrière à la rue de l’Angile ; elle est contiguë, au nord, à un bâtiment de six étages, qui fait angle de cette rue. C’est dans cette hôtellerie du Porcelelet, qu'une nuit, en 1541, l’effondrement d’un plancher causa la mort d’une vingtaine de voyageurs. Parmi les victimes de cette catastrophe, se trouvaient trois jeunes gentilshommes bourguignons, Claude de Bauffremont-Senecé, Philibert de Villars-Sercy et Jacques Bouton de Corberon ; ce dernier était fiancé ; il était venu à Lyon pour acheter les cadeaux de la corbeille de noces. Les trois jeunes gens se trouvaient couchés dans le même lit, comme cela se présente fréquemment quand les auberges sont pleines, et l'un d’eux s’amusait à lire des vers français à ses compagnons, lorsque, vers minuit, le plafond s’effondra sur eux et les écrasa. C'est dans ce même tripot que fut formé le complot d’abattre la Citadelle de Lyon, rasée en 1585, et c'est pourquoi les partisans de cette démolition furent surnommés les « Pourcelets ligueurs de Lyon ».

En face du débouché de la rue de l’Angile, quelques maisons du bord de la Saône disparaîtront en 1662, pour l’ouverture d’un nouveau port, qui sera dédié au Dauphin, né le 1er novembre 1661, et recevra le nom de Port-Dauphin.

Nous entrons maintenant dans la rue des Hébergeries ou des Albergeries. A droite et à gauche, ce ne sont plus, en effet, à chaque maison, que des enseignes d’hôtelleries. Du côté de la Saône, La Cloche, A Saint-Eloy — encore une maison de six étages — La Pomme, au coin d'une ruelle de nom, qui conduit au bord de l’eau. A gauche, c'est La Teste Noire, à l’angle nord de la rue de l’Angile. A la suite, Les Trois Rois, la plus belle, la plus fréquentée de toutes les auberges de la ville, et celle où descendent la plupart des personnes de qualité. Le prince de Condé, à son retour d’Italie, y coucha le 2 mars 1623 ; le comte d’Essex y a séjourné avec sa suite ; en 1608, l’Anglais Thomas Coryat y rencontra le comte de Bréves, qui se rendait à Rome en qualité d’ambassadeur de Franc. Il s’y trouvait aussi le lieutenant-général de Provence, fils du due de Guise ; ce prince, raconte le voyageur anglais, eut à son souper d’excellente musique ; ensuite, les gentilshommes qui l’accompagnaient dansèrent, dans la grande cour, des voltes et des courantes. Nous voilà dans cette cour ; en ce moment, elle est pleine de « courretiers » et de marchands étrangers ; pendant les foires, on traite volontiers les affaires dans les cours des hôtelleries, où l'on est plus à l’aise que dans la rue ou sur la place du Change. A ce propos, une vieille servante des Trois Rois nous raconte un dramatique événement qui eut lieu en 1582 : plusieurs marchands de Paris, qui y étaient descendus, furent attaqués à main armée par des courtiers lucquois, aidés d’une troupe de soldats qu’ils avaient recrutés dans la Citadelle de Saint-Sébastien. — La tourelle d’escalier à pans coupés, les galeries ouvertes qui relient les corps de logis sont d’une élégante architecture de la fin du xve siècle. Sur le mur, près de l’entrée de la grande salle, nous lisons cette inscription plaisante : On ne loge pas céans a crédit, car il est mort, les mauvais payeurs l’ont tué. Palsambleu ! l’hôtelier des Trois Rois est homme d’esprit ! Mais où donc se trouve la curieuse peinture signalée par Thomas Coryat dans ses Crudités ? La voilà dans cette autre cour : cela représente un porteur de balle qui s'est endormi en chemin et qu’une troupe de singes à dévalisé ; l’un s’est emparé d’une paire de besicles, un autre d'un collier ; ceux-ci ont dérobé des lanternes et des écritoires, ceux=-là des croix, des encensoirs, des cartes ; et, munis de ces objets hétéroclites, les singes ont grimpé aux arbres et contemplent.