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le lyon de nos pères

nieuse ondulation des coteaux, rompue çà et là par des bouquets de peupliers encadrant de leurs colonnes de feuillage les silhouettes dentelées des antiques châteaux forts. Pas une colline, pas un mamelon qui ne fût couronné d’une construction de l’époque féodale. En sortant de la Verpillière, aux lueurs du crépuscule, la petite troupe avait aperçu, au delà des marais, sur le coteau qui se dresse à l’occident, l’imposante forteresse de Falavier, profilant sur le ciel son donjon, ses tours et sa double enceinte de remparts. Plus loin, c’était le château de Toussieu, avec sa grosse tour à créneaux et à mâchicoulis ; en face, celui de Chandieu, flanqué de tours demi-circulaires et bâti sur une esplanade enveloppée de doubles murailles ; à l’est, le château du Colombier et, sur le coteau de Genas, celui de la Tour ; puis, sur un monticule à gauche, étalant au midi sa façade et ses deux rangs de terrasses précédées de larges avenues de sycomores, le château de Saint-Priest, élégant édifice de la Renaissance italienne, et son gros donjon à tourelles. De temps en temps, les cavaliers s’arrêtaient pour reprendre haleine et faire reposer leurs chevaux, car, de la Verpillière à Lyon, l’étape était de six bonnes heures ; ils regardaient passer des troupeaux de porcs et de moutons que des paysans conduisaient à la ville ; ils interrogeaient les muletiers, qui trottaient, avec un joyeux bruit de sonnailles, devant leurs bêtes chargées de marchandises. Heureux d’avoir traversé sans encombre les périlleux défilés des Alpes, nos étrangers se riaient du mauvais renom de cette partie du Dauphiné, que les méchantes langues prétendaient infestée de brigands, tout à la joie qu’ils se promettaient de voir bientôt,

… après tant de monts de neige tout couverts,
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Tant de belles maisons et tant de métairies,

ils se remémoraient ce qu’ils avaient oui dire sur cette grande cité, « clef du royaume es frontières et marches de l’empire », dont ils allaient dans quelques instants franchir les portes : l’antiquité fabuleuse que lui attribuait la légende, son glorieux passé romain, dont ils retrouveraient encore à chaque pas des vestiges, son admirable situation entre le Nord et le Midi, au confluent de deux grands fleuves, si favorable en un temps où toutes les marchandises se transportaient par eau, la prodigieuse activité de son commerce, qui faisait de Lyon la première place du monde pour le négoce de l’argent ; enfin, l’accueil courtois et empressé que l’étranger était assuré de rencontrer dans cette grande ville cosmopolite, étape nécessaire pour qui venait d’Italie ou d’Allemagne, où l’on parlait toutes les langues, où Italiens, Suisses, Allemands savaient devoir trouver des compatriotes et, au besoin, des protecteurs. Et, pressant leurs courtauds, les voyageurs se répétaient ces vers de Clément Marot, passés pour ainsi dire en proverbe :

C’est un grand cas voir le mont Pelion,
Ou d’avoir veu les ruines de Troye ;
Mais qui ne voit la ville de Lyon,
Aucun plaisir à ses yeux il n’octroye.

La route laissait sur la droite le village de Saint-Denis-de-Bron, — où la population lyonnaise se portait en foule, chaque année, au mois d’octobre, le jour de la fête patronale ; passant entre la maison forte, à colombier, des Essards et le château des Tours, aujourd’hui englobé dans les dépendances de l’asile de Bron, elle traversait l’ancienne paroisse de Chaussagne, établie sur la hauteur à l’abri des inondations qui, au moyen âge, dévastèrent constamment la plaine, et disséminée autour de