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le lyon de nos pères

charpentier de la ville pour avoir dressé le plan et fait le modèle de l'édifice. Il y a peu d’années, M. d'Halincourt, pour faire sa cour au souverain et se procurer en même temps de nouvelles ressources, avait imaginé de créer au milieu du pont une place circulaire entourée de bâtiments uniformes et d'y lever une statue équestre de Louis XIII. L'exécution de ces projets dut être abandonnée, en raison du péril que l'on eût fait courir a la ville en obstruant ainsi le lit de la rivière et embarrassant écoulement des eaux, qui, aux époques des grandes crues, occasionnent déjà de si terribles ravages.

A défaut d’un palais ou de l'effigie du roi, le vieux Pont de Saône vit longtemps se dresser le gibet. A la suite des rebeynes populaires, les séditieux, arrêtés et jugés, étaient fustigés, pilorisés, pendus ; les chefs avaient « les testes tranchees », et ces têtes sanglantes, fichées sur le Pont de Saône, restaient exposées aux regards terrifiés du peuple. Mais pareil spectacle se renouvela bien souvent à l'occasion de crimes de droit commun. Certain jour, un marchand de draps fut percé de coups par trois misérables ; un des assassins eut le poing coupé et fut pendu, un autre eut les os brisés à coups de marteau de fer et fut attaché à la roue, le troisième fut décapité après avoir eu les poings coupés. Ces supplices atroces eurent lieu un jour de marché, au milieu d'une foule immense, et les têtes des criminels furent suspendues sur le pont. Durant la terrible peste de 1628, il régnait dans la ville un tel désordre, que les autorités avaient fait dresser deux piloris avec leurs carcans, l'un au milieu de la lace des Orangères, l'autre sur la place du Change, tandis qu'une estrapade s’élevait sur le Pont de Saône ; et, sous peine de mort, il était défendu à quiconque de toucher à ces instruments de supplice. — Il n'y a plus maintenant que la croix. Elle rappelle un autre drame qui eut lieu à peu près vers la même époque. Un calviniste allemand, nommé Thomas Aldendorf, ayant brisé le crucifix de cette croix, fut arrêté par le peuple et conduit en prison ; déclaré coupable de lèse-majesté divine, i] fut condamné à être pendu et brûlé à l'endroit même où i avait commis l’attentat ; on l'exécuta le lendemain. A cette même place, soixante années auparavant, le Père Gaïete, gardien du monastère des Cordeliers, traîné vers la prison de Roanne par les soldats du baron des Adrets, avec un officier catholique nommé Béguin, avait été, ainsi que son compagnon, frappé par ses gardiens de cinq coups de hallebarde, et leurs cadavres précipités dans la Saône.

Mais laissons ces lugubres souvenirs. Si toute la vie de la cité afflue au Pont de Pierre, il est aussi un lieu de réjouissances publiques. Chaque année, la veille de la Saint-Jean, aussitôt après