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douceur inconcevable, et le rendit au religieux, qui dit au peuple de prier Dieu pour lui ; et M. le Grand, ouvrant les bras, puis joignant les mains, fit la même demande ». Il se mit à genoux et reçut très dévotement l’absolution. S’étant relevé, il alla se mesurer au poteau, se dépouilla lui-même de son pourpoint, sans quitter ses gants, baisa encore le crucifix, et, s’allant jeter à genoux sur le billot, consulta son confesseur sur la posture en laquelle il se devait tenir. Tirant une boîte couverte de diamants, il supplia le P. Malavalette de brûler le portrait qui était dedans et de faire des œuvres de charité avec le produit de la boîte et celui d’une bague qu’il lui remit en même temps. — Cependant, le bourreau s’approchait avec les ciseaux ; M. de Cinq-Mars les lui prit doucement des mains, se coupa la moustache, puis le frère jésuite vint lui couper les cheveux, « — Ah ! mon Dieu ! dit M. le Grand, qu’est-ce que de ce monde ! » Quand ses longs cheveux bouclés furent tombés, il porta les deux mains à sa tête comme pour accommoder ce qui en restait, écarta deux ou trois fois d’un geste de la main le bourreau qui s’apprêtait à découdre son collet, que le vent faisait voltiger, et s’étant derechef agenouillé, les mains jointes sur le poteau, il fit à haute voix une fervente prière, offrant sa mort et son sang pour l’expiation de ses fautes. Alors, il se tourna résolument vers l’exécuteur, qui était là, debout, et n’avait pas encore tiré son couperet d’un méchant sac qu’il avait apporté sur l’échafaud, et il lui dit : « — Que fais-tu la ? Qu’attends-tu ? ». — Et rappelant son confesseur, il pria encore avec lui. Dès qu’il vit l’exécuteur s’avancer avec le couperet : « — Allons ! s’écria-t-il, il faut mourir ; mon Dieu, avez pitié de moy ! » — Puis, « sans être bandé, ni lié », il posa la tête sur le poteau, qu’il tenait fortement embrassé, ferma les veux et attendit le coup. Le bourreau vint le donner pesamment et lentement. Quand le peuple vit lever le couperet, rompant soudain le profond silence qu’il avait gardé jusqu’à ce moment, il fit entendre un gémissement effroyable, mêlé de pleurs et de sanglots. La tête n’étant pas entièrement séparée du corps, l’exécuteur la prit par les cheveux, scia la trachée artère et la peau du cou ; après quoi, il jeta cette tête sur l’échafaud, d’où elle bondit sur le sol, le visage tourné vers le jardin des Dames de Saint-Pierre et les yeux ouverts, « aussi beaux que lorsqu’ils étaient animés ». — Pendant que l’exécuteur ôtait les gants du supplicié pour voir s’il n’avait pas de bagues aux doigts, dépouillait le corps, ne lui laissant que sa chemise, le couvrait d’un drap et jetait son manteau par-dessus, après avoir mis tous les vêtements dans son sac, on levait la portière du carrosse, où M. de Thon était demeuré avec son confesseur…

… Mais voilà que les gens de justice amènent le condamné. Dérobons-nous au répugnant spectacle de cette pendaison, et, par le quartier de la Lanterne et de la Platière, hâtons-nous de gagner le vieux « Pont de Saône ».