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le lyon de nos pères

orientée comme celle de la grande, et son petit clocheton à l’opposite. Il y a deux autres chapelles à droite et trois à gauche, dédiées au saint Sauveur, à saint André, sainte Agnès et sainte Catherine ; une d’elles appartient aux « Enfants du Plastre » et une autre aux « Maistres futeniers ». Le chœur des religieuses, communiquant de plain-pied aux bâtiments du monastère, occupe le dessus des premières travées à partir du clocher. Cette église paraît en grande partie construite de pierres provenant des piédestaux de statues romaines qui abondaient au moyen âge dans l’espace compris entre le pied de la colline Saint-Sébastien et l’église de Saint-Nizier. Nous rencontrons deux inscriptions antiques près du maître-autel ; plus loin, la pierre tombale de l’abbesse Guillemette d’Albon et de son frère Robinet d’Albon ; puis, une épitaphe plus moderne en latin ; il s’agit d’un jeune homme de la Bohème, Jean de Wettengell de Newenberg, enlevé par un mal soudain, au moment où, après avoir parcouru la France et l’Angleterre, il se disposait à partir pour l’Italie ; des vers latins disent la cruauté de la mort qui n’épargne pas les jeunes ans.

Au nord du clocher se trouve l’hôtel abbatial et, sur la même ligne, parallèlement à l’église, jusqu’à la rue Clermont, une série de maisons habitées par les prieures et un certain nombre de révérendes dames. Ces petits hôtels, construits par les religieuses qui ont assez de fortune pour posséder une habitation particulière, sont, au décès de chaque occupante, attribués par l’abbesse à une autre, qui est appelée « dame hôtelière ». Autour de l’église, le long de la place du Plâtre et de la rue Clermont, sont disposés le cloître, le chapitre, le dortoir, le réfectoire, en un mot la communauté. Sur la rue Saint-Pierre s’ouvre la porte du « charroir », où les religieuses vendaient jadis elles-mêmes leur vin, et qui conduit aux caves profondes renfermant les récoltes de leurs beaux vignobles de Morancé. Enfin, du côté des Terreaux, s’étendent les jardins, remplis de tonnelles et de berceaux de verdure. — Ce vieux monastère tombe en ruine et devient inhabitable. Mais, en attendant que les revenus de l’abbaye permettent d’élever un véritable palais, les Dames de Saint-Pierre, sous l’autorité un peu mondaine de très haute et très puissante Élisabeth d’Épinac, abbesse « par la grâce de Dieu », se gardent d’oublier l’illustration de cette maison, où l'on n’est admise qu’en faisant la preuve de quatre degrés de noblesse du côté paternel. Quelles entrent au chœur, avec la longue traîne « détroussée », ou qu’elles se présentent au parloir, le voile d’étamine abaissé sur la guimpe de toile blanche, la tunique de drap blanc et la robe de serge noire à manches larges recouvertes du scapulaire de même étoffe descendant jusqu’aux pieds, leur port et leur démarche accusent la distinction de race, doublée du sentiment profond de la dignité hiérarchique. La grande prieure et la mère sous-prieure, madame la présidente, et même la crossière ou la chapelaine qui accompagne l’abbesse à l’église, sont de fort grandes dames que l’on salue très bas et dont l’opinion compte dans la ville. Point trop rigides, elles ne se privent pas des divertissements permis ; presque toutes raffolent de musique, et quand d’Assoucy rendra visite à « Madame de Saint-Pierre », il n’y aura « pas une de ces filles dévotes qui n’eust déjà une copie de son Ovide en belle humeur ».


En sortant du défilé de la rue Saint-Pierre, nous nous trouvons sur la place des Terreaux ; c’est le nom que l’on donne, en plusieurs autres villes, aux fossés des fortifications ; cette place occupe, en effet, l’emplacement des anciens fossés de la Lanterne. L’ancienne muraille de la ville, devenue inutile et démolie après la reconstruction des antiques remparts de la colline Saint-Sébas-