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le lyon de nos pères

courtine, à peine restaurée par places, qui se dresse au bord du fleuve avec ses grandes meurtrières et ses gargouilles, ses grosses tours bâties en pierres presque brutes et toutes noircies par le temps. Au bout de la place des Cordeliers, cette tour carrée, surmontée de mâchicoulis en pierre et d’une rangée d’ouvertures, où l’on braquait des coulevrines, c’est la Porte des Cordeliers, anciennement appelée le Portail vieil des Frères Mineurs ; un escalier intérieur conduit au pied de la tour et communique par des portes latérales à l’ancien port des Cordeliers ; là se trouve un chantier où l’on décharge les bois de construction et les bois à brûler, amenés du haut Rhône ; en face, sur le courant, tournent les grandes roues de sept ou huit gros moulins, réunis côte à côte, comme ceux que nous avons rencontrés en aval du pont. À la suite de la porte des Cordeliers, viennent trois tours rondes, la première couverte d’une bizarre toiture en tuiles à une seule pente, et les deux autres surmontées d’énormes hourds en bois, dont les ais vermoulus gémissent et grincent au souffle du vent. C’est ensuite la Porte de rue Neuve, ancien Portail de rue Neufve, située au débouché de cette rue et donnant accès au port de ce nom. Toute cette partie du vieux rempart est extrêmement pittoresque. Au bout de la rue du Pet-Estroit (aujourd’hui rue Bât-d’Argent) il y a encore une porte, plus petite, le portail Figuet ; et plus loin, quatre ou cinq bâtisses, qui ont envahi la muraille et formé sur la courtine un commencement de rue.

C’est derrière ce vieux rempart, entre la rue Neuve et la rue Mulet, dans les granges et les terrains de la Confrérie de la Trinité, loués par le domaine royal, que se trouvait, au commencement du xvie siècle, le dépôt de l'artillerie et la fonderie de canons. La forte muraille munie de tours préservait cet arsenal de toute surprise : la porte et le port de rue Neuve facilitaient l’entrée des matériaux employés dans cet atelier de construction et l’embarquement des munitions destinées aux armées du roi. À cette époque, la menace de l’invasion des troupes de Charles-Quint nécessitait des armements considérables pour la défense de la ville ; les Suisses, disait-on, se vantaient de venir à Lyon avec une armée de douze mille hommes. On dut recruter des soldats, acheter des corselets et des morions blancs à Brescia et à Milan, des arquebuses et des fers de pique à Saint-Étienne, et commander de grandes coulevrines. Puis, ce furent les lansquenets venant de l’armée d’Italie, qui voulurent de force loger en ville : des canons furent braqués sur le pont du Rhône et la milice occupa les tours des remparts. En 1535, le passage de l’artillerie sur le pont du Rhône fut si considérable que deux arches en furent ébranlées. Les granges de la Trinité étaient devenues insuffisantes ; il avait fallu, pour abriter les canons, louer un emplacement et construire un hangar dans le voisinage du couvent des Jacobins. Ce fut alors que François Ier résolut de transférer l’Arsenal dans les terrains plus spacieux de la Rigaudière.

C’est à côté de l’ancien Arsenal que prit naissance le Collège de la Trinité ; il eut les plus humbles commencements. La Confrérie de la Trinité, qui possédait entre la rue Neuve et la rue Mulet (alors prolongée jusqu’aux courtines) un grand tènement de maisons, granges et jardins, y avait établi, vers l’année 1519, un petit collège ou plutôt un externat, confié à des maitres séculiers, où chacun de ses nombreux associés pouvait, moyennant deux sols six deniers par mois, envoyer ses enfants acquérir un peu de science élémentaire. L’installation laissait beaucoup à désirer : les écoliers étaient assis par terre, sur de la paille ; il pleuvait dans les classes ; en hiver, on y gelait de froid ; enfin, il était impossible de s’entendre, à côté des ateliers de l’ar-