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le lyon de nos pères

successeurs se signalèrent en d’importantes fonctions et par nombre d’exploits. Au commencement du xiiie siècle, le riche et puissant sénéchal Jacques de Grôlée possédait sur la vive droite du Rhône d’immenses jardins qui s’étendaient jusqu’à la rue Grenette. Quand les Frères Mineurs vinrent, en 1220, s’établir à Lyon, il leur céda un hôtel et une partie des terrains situés au nord du Port-Charlet. Les Grôlée habitèrent la maison de la Blancherie (angle nord-ouest des rues Grôlée et Stella), ainsi appelée de ce qu’il y avait là des tanneries où l’on blanchissait le cuir, et qui a donné son nom à la rue voisine. C’est au midi de cet hôtel que la rue Noire fut ouverte à la fin du xive siècle. Ce quartier, dont l’aspect contraste si complètement aujourd’hui avec celui de Bellecour, ne se composait alors que de petites maisons et de grands jardins. Cent ans après, des imprimeurs y avaient leurs ateliers ; dans un vaste enclos de la rue de la Blancherie, se trouvait un jeu de l’arbalète ; plus loin, dans la même rue, un jeu de paume et jeu de billard ; un autre jeu de paume au Puits Pelu ; rue de la Rôtisserie, des étuves étaient jointes à un troisième jeu de paume ; avec la rue Gaudinière, qui lui fait suite du côté du Rhône, cette sordide ruelle servait de repaire aux coquins, aux filles, aux diseuses de bonne fortune ; à quelques pas de là, rue de la Blancherie, une grande masure, appartenant aux Grôlée, était occupée par un « cureur de socenaires » (vidangeur), qui y logeait « ceux qui se mêloient des basses œuvres ». — À présent, il ne reste plus trace des jardins qui égayaient de leurs verdures ces constructions maussades ; on a utilisé les moindres places, entassé étage sur étage, si bien que ces méchantes ruettes sont devenues plus sombres, plus humides et plus nauséabondes que jamais. En vain les ordonnances de voirie prescrivent-elles de remplacer les chanées de bois par des canaux de fer-blanc prolongés jusqu’au niveau du sol : il est impossible de s’aventurer par là, quand il pleut, sans s’exposer à être trempé jusqu’aux os. Quant à la chaussée, elle est impraticable, même en temps de sécheresse ; les boues y croupissent à l’ombre, sans que personne ait l’idée de les enlever, car jamais aucun cortège ne passe dans ces cloaques. Les habitants, logés à l’étroit dans leurs sombres taudis, ont pris l’habitude de considérer la rue comme une dépendance de leur boutique ; ils y laissent des charrettes, y installent leur ouvroir ; souvent même, on y dépose des tas de fumiers. Les échevins ont dû faire graver, par le sculpteur Bernard Sibrecq, ces mots : Rue publique, au coin de certaines rues « que aucuns particuliers se vouloient approprier ».

La plus grande partie de ce quartier cst habité par une population « des plus méchaniques » et misérable : affaneurs et pauvres gens de rivière, la plupart originaires de la Savoie, « auriers » ou orpailleurs, qui, pendant les basses eaux, exploitent péniblement les sables du Rhône pour en retirer quelques paillettes d’or. Il y a toujours aussi, par là, un certain nombre d’imprimeurs. C’est dans la rue Noire, à l’enseigne du « Lion d’Or » que se trouve l’atelier de maître Claude Cayne, auteur d’un recueil d’odes publié sous le titre de l'Apparition de Théophile à un poète de ce temps, dans cette même rue, à l’image de Saint-François, que Jean Bruyset imprimera, cinquante ans plus tard, l’Histoire du P. Menestrier.


Au nord de la rue du Port-Charlet, nous voyons se dresser, au-dessus d’un fouillis de maisons basses, la haute tour carrée de l’église des Cordeliers de Saint-Bonaventure, C’est là, entre le Rhône et la rue de la Blancherie, que le sénéchal Jacques de Grôlée installa les Frères Mineurs