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le lyon de nos pères

conseiller du roi et trésorier de France en la généralité de Lyon, prirent à leur compte telle ou telle partie de l’édifice, où leur action généreuse est rappelée par leurs armoiries gravées sur la muraille ou peintes sur les vitrages. D’autres fondèrent plusieurs lits. En 1626, le dôme était déjà élevé : et, chose admirable, la construction des quatre corps de bâtiment et des galeries se poursuivait au milieu des fléaux qui frappaient à coups redoublés : les guerres, qui faisaient affluer à l’Hôtel-Dieu — devenu en réalité « l’Hôpital de l’armée du Roi » — des soldats revenant des champs de bataille avec des plaies affreuses : et surtout la peste, qui régna dans ce lieu du 7 août 1628 au 2 novembre 1631, encombrant le cimetière de cadavres et emplissant d’orphelins un des corps de logis à peine achevé.

Pour subvenir aux soins des malades, il n’y a qu’un médecin et un chirurgien, nommés par les recteurs, un apothicaire, et un petit nombre de serviteurs et de sœurs servantes. Le chirurgien est secondé par des compagnons ou élèves en chirurgie ; après six années d’exercice, il est admis à la maitrise et a le droit de prendre une boutique en face de l’Hôtel-Dieu et d’y accrocher un bassin. Avant la reconstruction du claustral, la « boutique d’apothicairerie » était installée rue Bourgchanin, dans la maison de la Magdeleine. Désormais, la pharmacie est dans le claustral avec tous les autres services ; c’est là que la fameuse « thériaque », composée de plus de cinq cents ingrédients bizarres, est solennellement préparée dans un monumental vase d’étain ciselé, en présence des recteurs, sous les yeux des délégués du collège de médecine et de ceux des apothicaires ; là aussi, que, dans la suite, se fabriqueront de l’eau-de-roses, de l’eau de fleurs d’oranger, de l’eau de Hongrie très réputées. — Quant aux sœurs-servantes, si elles ne sont plus, comme à l’origine, des filles repenties, ce ne sont pas davantage des religieuses ; simples « chambrières » laïques qui promettent de se consacrer au service des pauvres, elles ne font aucun vœu et ne dépendent d’aucun ordre ; il n’est même pas rare de les voir quitter l’Hôtel-Dieu pour se marier ; elles reçoivent alors une petite dot en récompense de leurs services. Elles portent la robe grise, avec le tablier de toile et la coiffe non empesée, à l’instar des femmes simples de la ville, — sur laquelle se pose un voile blanc quand elles assistent aux offices et aux enterrements des notables ou vont donner leurs soins à des dames de qualité. Ce costume n’a pour but que d’établir entre elles une égalité décente ; elles ne peuvent recevoir leur habit que des mains des recteurs.

Chaque jour, dès les heures matinales, tandis que les médecins, chirurgiens, sœurs servantes s’empressent vers le chevet des malades, une vie intense règne autour de l’Hôtel-Dieu. Aux sonneries du lever et de la prière, se mêlent les cris stridents des martinets, qui volent éperdument au ras du dôme, éclairé par les premiers rayons du soleil. Puis, de la Grande Boucherie voisine montent les beuglements des bestiaux amenés à l’abatage, les aboiements des chiens de garde, les jurons des conducteurs et des bouchers. Bientôt, la Grande-Rue de l’Hôpital s’emplit de gagne-deniers et de ménagères. — C’est une des principales artères de la ville. Amorcée à l’étroit carrefour de l’Hôtel-Dieu, où aboutissent au midi la rue Bourgchanin et à l’ouest la rue « tirant à Notre Dame de Confort », la Grande-Rue de l’Hôpital se dirige vers le nord-ouest, coupant en diagonale le réseau des petites rues qui sillonnent le centre de la presqu’ile. Des deux côtés, sous les auvents, s’ouvrent des boutiques aux arcs inégaux, surmontées de pittoresques enseignes peintes, ballant au bout de leurs potences de fer. Voici la maison que la célèbre Louise Labé a léguée à l’Aumône