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le lyon de nos pères

la rive. En aval du pont du Rhône, dont nous retrouvons les arches séculaires et les tours aux fières silhouettes, il y a presque toujours dix ou douze de ces grands moulins en activité ; c’est un des points les plus pittoresques et les plus animés de la ville ; le joyeux murmure de leurs roues à aubes, indice d’abondance et de prospérité, se mêle au grondement du fleuve, et c’est, tout le long du jour, sur les passerelles de planches, un continuel va-et-vient d’affaneurs et de gagne-deniers, ployant sous le poids des sacs de grains ou de farine.

Derrière le cours du rempart, qui se prolonge jusqu’au pont du Rhône, on aperçoit l’enclos planté d’arbres et le clocher polygonal, terminé en flèche, du premier monastère des religieuses de Sainte-Elisabeth, franciscaines du tiers ordre. C'est la communauté la plus nombreuse de la ville ; elle comptera, en 1668, cent deux religieuses. Fondé en 1617 par Marguerite d’Ullins, femme de Pierre Clapisson, président des trésoriers de France à Lyon, et par deux filles du baron de Vaux, ce couvent occupe tout le tènement compris entre la rue de la Charité, où il a son entrée, la rue Laurencin au nord, qui le sépare de l’hospice, et la rue Sala au midi. L’église est assez belle ; le retable de bois doré qui en garnit tout le fond, décoré de colonnes et de pilastres corinthiens avec des niches entre deux, est une œuvre de très bon goût, exécutée sur les dessins de Jacques Stella. Les deux tableaux que renferme ce retable sont de ce peintre célèbre, qui y a déployé une harmonie de couleurs, une vérité dans les attitudes et une habileté dans les draperies, dont les connaisseurs font le plus vif éloge : le plus grand, qui n’a pas moins de quinze pieds de haut, représente sainte Elisabeth de Hongrie accompagnée de saint Jean l’Evangéliste et de saint François d’Assise, et, dans une gloire, la Vierge tenant l’Enfant Jésus ; le plus petit, placé dans l’attique, montre le Père éternel dans une gloire. La sacristie de cette église est une des plus riches de la ville en argenterie et en ornements de toutes sortes ; le jour de la fête de sainte Elisabeth, on expose un parement d’autel fait à l’aiguille, qui est un véritable travail de fée.

Au nord, s’élèvent, dans toute leur jeunesse, les bâtiments, achevés depuis quelques années seulement, de l’Aumône générale ou Hôpital général de Notre-Dame de la Charité. Les étrangers, qui n’ont vu dans aucune autre ville un si grandiose édifice consacré aux malheureux, ne se lassent pas d’admirer les heureuses dispositions et les excellentes conditions de salubrité que présente cet immense claustral formé de quatorze corps de logis groupés en croix autour d’une cour centrale et longés à tous les étages par un portique ouvert. Leur admiration est plus grande encore, lorsqu’ils apprennent que cette œuvre colossale est entièrement due à la générosité des Lyonnais, que tous ces bâtiments ont été construits, grâce aux libéralités du gouverneur, des familles, des particuliers, des corporations de la ville ; les drapiers, qui constituent la première communauté des marchands des arts et métiers de Lyon, sont les fondateurs du corps de bâtiment perpendiculaire au chevet de l’église ; pour celle-ci, l’archevêque et le Chapitre payèrent la moitié de la dépense. C’est ainsi qu’en moins de six années trois grands corps de logis et huit moyens y aboutissant, purent être achevés, garnis de meubles et occupés par douze à treize cents pauvres ; — il y en a maintenant environ quinze cents. Peu de temps après, on installait la paneterie, les fours, des granges à bois, une lavanderie, des maisons et boutiques pour les tailleurs d’habits, cordonniers, tisserands, charpentiers, maçons, benniers ; des maisonnettes pour loger les pauvres qui ne peuvent supporter la vie commune ; d’autres pour isoler ceux que l’on