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le lyon de nos pères

ruines une foule de victimes. Et, dans le tumulte et l'infection de cet hospice jonché de morts et de mourants, c'étaient à tout instant de nouveaux convois de pestiférés, couverts d'exanthèmes livides, étouffés par des abcès à la gorge ou expirant dans un accès de délire. Ni les chars, ni les fossoyeurs ne suffisaient. Le bois pour construire les cabanes étant venu à manquer, quelques misérables, à ce qu'on rapporte, dressèrent des cadavres roidis par la mort en les liant entre eux, les couvrirent avec d’autres corps en forme de toit, et rendirent le dernier soupir sous ces hideux abris. — Cependant, les religieux, capucins et jésuites, les magistrats, « messieurs de la Santé » armés d'un bâton rouge, les médecins et les chirurgiens, des femmes courageuses, allaient de lit en lit, prodiguant des

soins et des consolations. Pour se préserver de la contagion, les personnes qui visitaient es pestiférés revêtaient un costume étrange composé dune longue robe de peau, d'un masque enveloppant complètement la tête, avec un large collet couvrant les épaules, des yeux de verre et un nez en forme de bec d'oiseau, dont la pointe était remplie de drogues aromatiques. Appelés à tout moment pour recueillir les dernières volontés des mourants, les notaires se faisaient conduire par bateau, avec les témoins, en regard d'une terrasse bordant la rive, où les pestiférés venaient dicter leur testament. On prêchait dans les cours ; on célébrait la messe à Saint-Laurent et dans le pré d'Ainay sur des autels élevés, d’où le prêtre pouvait être aperçu d'un grand nombre de malades couchés en plein air. Ces malheureux mettaient en Dieu leur suprême espérance.

La contagion ne dura pas moins de huit mois. Elle a reparu en 1631, 1638 et, tout récemment encore, en 1642. Après le vœu solennel des échevins — 12 mars 1649 — la peste cessant d'exercer ses ravages, une partie des bâtiments devenus inutiles sera vendue aux administrateurs de l'hôtel-Dieu, tandis que le surplus, qui constitue essentiellement les hôpitaux Saint-Laurent et Saint-Thomas, servira d'asile à d'autres fléaux ou à d'autres misères.