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le lyon de nos pères

population ouvrière nécessitera la transformation du quartier. Entassés avec leur maisonnée, dans ces logements exigus, obscurs, mal aérés et malsains, les

pauvres artisans verront le prix de leurs loyers s’élever rapidement ; il faudra construire de nouveaux étages aux maisons. Les ateliers grimperont au plus près possible du ciel et de la lumière ; ils rechercheront les logis donnant sur le coteau, à l’opposé des étroites et sombres ruelles ; peu à peu, ils graviront les pentes de la montée des Espies, où se bâtiront des maisons d’ouvriers, claires à tous les étages et qu’animera du bas au haut le battement des métiers. Ces maisons, commodes et saines, appartiendront pour la plupart à leurs habitants. Singulièrement économe et casanier, bornant son horizon aux lieux et aux gens témoins de sa vie laborieuse, le maitre ouvrier en soie n’a qu’une seule ambition : être propriétaire, fût-ce d’une moitié maison, fût-ce même d’un étage. Il se tient pour satisfait, s’il a réalisé ce rêve. Quand ses deux ou trois métiers sont en branle, que sa femme fait ronronner entre ses mains le rouet à canettes ou va et vient dans la salle entre le vieux lit à colonnes et la cheminée à crémaillère, le maitre qui n’a plus de loyer à payer jette un coup d’œil sur ses compagnons de travail qui sont comme de sa famille, sur les antiques objets qu’il a toujours vus aux mêmes places : le coffre à bahut, le pétrin et la table de noyer, son épée rouillée et « son hallebarde » accrochées au mur, en face de l’image de son saint patron placée dans un cadre, — et il se sent bien chez lui et ne souhaite plus rien.

Nous atteignons ainsi le Gourguillon, ce grapillon pittoresque, qui nous est apparu tout à l'heure, du bas de la montée, vers les beaux hôtels d’Olivier Durand et d’Étienne Laurencin, entre ses deux rangées de vieux murs et de vieilles maisons, plantés en zigzags le long de la côte, où l'on voit, aux contours, pointer quelque antique tourelle. C’est une des plus anciennes voies