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BORGNASSER, v. n. — Regarder de très près, comme quelqu’un qui n’y voit pas bien. Au fig. se dit d’une lumière qui bat au moment où elle est près de s’éteindre, « Sitôt que le chelu de ma déplorable existence, après avoir borgnassé longtemps, faute d’huile, aura fini par s’éteindre. » (Les Canettes.)

BORGNAT, s. m. — Espèce de petite bécassine. — Je suppose de son vol à crochets qui a l’apparence (mais l’apparence seulement) d’un vol aveugle.

BORGNE, s. m. — Orvet. — Borgne est pris dans le sens d’aveugle, parce que nos paysans croient l’orvet privé de la vue, ce qui est une erreur.

Borgne d’un œil. — Les grammairiens qui blâment ce pléonasme ignorent qu’il n’en est un que pour eux. Dans les dialectes d’oc, borgne signifie aveugle, comme, dans la langue d’oïl, borgne signifiait primitivement louche. Borgne d’un œil est aussi rationnel qu’en français sourd d’une oreille. Aussi, pour désigner un aveugle, avons-nous accoutumé de dire qu’il est borgne d’un œil et n’y voit rien de l’autre. C’est un peu plus long, mais cela se comprend très bien.

BORNIQUER, v. a. — Regarder avec difficulté en clignant des yeux. Borgnasser exprime un état, borgniquer exprime une action.

BORGNON. — Borgnon est employé pour œil dans le Songe de Guignol :

Il avait deux borgnons brillants comme un chelu.

Mois cela ne me semble pas du lyonnais classique.

À borgnon. Locut. pour À l’aveuglette, à tâtons. Mon oncle Jean-Pierre avait accoutumé de dire que l’on pouvait prendre sa femme à borgnon : que l’on y vit, que l’on n’y vit pas, on était toujours sûr de se gourer. À quoi mon oncle Jean-Claude de répondre qu’il fallait toujours, autant que faire se peut, la prendre moyennée ; pour autant que, puisqu’on peut aussi bien se gourer avec une qui à du de quoi qu’avec une qui n’a pas du de quoi, il vaut mieux se gourer avec une qui a du de quoi. À quoi mon oncle Jean-Jean d’ajouter : « Allons, bien pensé ! »

BORGNON-BLEU, s. m. — Qui a la vue si basse qu’il n’y voit goutte. Au fig., qui n’y voit pas plus loin que son nez ; qui n’a point d’ème.

On dit aussi à borgnon-bleu pour « dans l’obscurité ». Je connaissais un bon mari qui avait une femme fort laide. Bah ! qu’il disait, à borgnon-bleu, vous n’en faites pas la différence ! — Composé de borgnon, qui n’y voit pas, et bleu, pris au sens d’obscurité. Voy. bleu, « n’y voir que du bleu. »

BORNE, s. f. — Pus, sanie. J’ai z’un clou au cotivet que jette de borme. — Le radical borb, borm, est celtique. Il a la signification d’ampoule, pustule.

BORNICANDOSSE, BORNICLASSE, BORNIQUET. — Qui n’y voit presque pas. Variations sur le thème borgne.

BORRIAU, s. m. — C’est le nom que, dans tous les ateliers, l’on donne à l’apprenti. « Un borriau de canut qui chinait un 4500 cartons en 600 (600, c’est le nombre des crochets de la mécanique), » m’écrivait mon correspondant anonyme Forducou, « michi-mitron au bas de la Grand’Côte ». À quoi je connus bien qu’il n’était point mitron, mais bien dans la canuserie. — Forme lyonnaise de bourreau. Quant à la dérivation du sens, elle vient de ce que le borriau, lorsqu’il remonde, saigne les fils comme le bourreau saigne un chrétien.

BOSON, s. f. — Pouponnet a-t-il fait son boson ? demandait devant moi une bonne mère. Au fig. Charmante expression de tendresse : Mon cœur, mon petit boson. L’image est délicate. Viens, gros boson, dit-on à un bel enfant. — De bouse. Boson, petite bouse.

BOSSE. — Se faire de la bosse, S’amuser, se divertir. Tout est relatif. Le gone se fait de la hosse avec un sou de… (mettre ici le nom du papier à biscuit ; voy. biscuit) ; l’ouvrier se fait de la bosse en jouant des petits verres au tourniquet ; l’homme calé en soupant au Café Neuf. Je me suis fait suffisamment de la bosse quand j’ai pu passer une nuit sans trop souffrir.

BOTTE, s. f. — Petit flacon. Usité seulement dans botte d’encre, Petite bouteille en grès, pleine d’encre. — Bas latin busta, dont le type se retrouve en grec, en germain et en celtique.