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  CHAPITRE XXX. 325

CHAPITRE XXX.

LES GRECS.


Donné à la Mecque. — 60 versets.


Au nom du Dieu clément et miséricordieux


  1. Élif. Lam. Mim.[1]. Les Grecs ont été vaincus[2]
  2. Dans un pays très-rapproché du nôtre[3] ; mais, après cette (vi)ctoire, ils vaincront à leur tour
  3. Dans l’espace de quelques années[4]. Avant comme après, les choses dépendent de Dieu. Ce jour-là les croyants se réjouiront

  1. Voyez II, 1, note
  2. Le mot Er-roum du texte, que nous traduisons par Grecs, s’appliquait et s’applique encore en arabe aux Grecs d’Alexandre le Grand, à l’empire romain d’Occident et à celui d’Orient, ou aux Grecs du Bas-Empire. C’est de ces derniers qu’il s’agit dans ce chapitre. Ils avaient été défaits par les Perses, adorateurs du feu, et conséquemment idolâtres. Ce succès d’un peuple que les Arabes idolâtres pouvaient regarder jusqu’à un certain point comme leurs coreligionnaires, pendant que les Grecs, comme chrétiens et peuples possédant les Écritures, étaient censés se rapprocher davantage du culte unitaire prêché par Mahomet, ce succès causa une grande sensation dans l’Arabie. La révélation contenue dans les versets 2 et 3 avait pour but de rabattre l’orgueil des idolâtres et de rassurer les mahométans. Depuis que la prédiction du succès des Grecs s’est réalisée, tout ce passage du Koran est cité par les musulmans comme une preuve évidente de l’inspiration prophétique de Mahomet. On n’est pas cependant d’accord sur les dates de ces deux événements ; les uns mettent la victoire des Perses dans l’année 5 avant l’hégire, et celle des Grecs à l’an 2 de l’hégire ; d’autres placent le premier de ces événements à la troisième ou quatrième année de l’hégire, et le second à la fin de la sixième ou au commencement de la septième. Sans chercher ici à établir l’exactitude de ces données, nous ferons observer que le passage qui nous occupe se rapporte à l’époque de cette longue guerre que le roi de Perse Khosrou Perwiz faisait avec tant de bonheur à l’empire d’Orient, jusqu’à ce que l’empereur Héraclius vengeât par une victoire décisive, en 625, les affronts essuyés par son prédécesseur, et poursuivit à son tour une longue carrière de succès. L’accomplissement de la prophétie tomberait donc à l’année 3 ou 4 de l’hégire. (Voy. note 3.)
  3. Dans le pays très-rapproché. Les commentateurs diffèrent dans l’application de ce passage. L’un des plus célèbres, Ebn-Abbas, cité par Sale, pense qu’il s’agit de la Palestine.
  4. Les mots : espace de quelques années, répondent au bed’issinina du texte. Voici ce que les commentateurs rapportent à propos de cette désignation. Quand le passage prédisant la victoire des Grecs fut révélé, Abou-Bekr (plus tard calife) fit un pari avec Obba ben Schalf, Arabe idolâtre, que la prophétie serait accomplie dans l’espace de trois ans, et il gagea dix chameaux. Mahomet, ayant appris le pari, dit à Abou-Bekr que le mot bed’ (quelques) s’appliquait à un nombre quelconque depuis trois jusqu’à dix, et lui conseilla de modifier les termes du pari dans ce sens ; les deux parties fixèrent le temps à neuf ans, et la gageure à cent chameaux. On dit qu’Obba mourut en l’année 3 de l’hégire, et que, la prédiction s’étant réalisée peu de temps après, ses héritiers furent forcés de donner cent chameaux à Abou-Bekr. Une dernière observation nous reste à faire sur ce passage ; elle servira à apprécier le caractère du Koran. L’on sait que dans le système graphique des Arabes, ainsi que dans toutes les langues de souche sémitique, on n’écrit que les consonnes, et on supplée les voyelles en lisant. Le Koran n’a reçu sa vocalisation actuelle que bien après sa rédaction, et après avoir passé par l’écriture coufique, par conséquent à l’époque où on a pu déjà tomber d’accord sur le sens des paroles et le fixer définitivement. Or, les mots : les Grec ont été vaincus, qu’on lit maintenant, à l’aide de la vocalisation reçue goulibatirroumou (les Grecs ont été vaincus), peuvent être lus sans toucher aux consonnes, galabatirroumou (les Grecs ont été vainqueurs) ; et ensuite au verset 3, les mots saïaglibouna (ils vaincront), peuvent être lus, toujours en conservant les mêmes consonnes, saïouglabouna (ils seront vaincus). A voir le vague et la brièveté de ces paroles, on dirait que ce passage a été ménagé de manière à avoir toujours raison, en quelques circonstances que ce fût. Les interprétations des commentateurs ont, du reste fixé le sens tel qu’il est donné dans le texte actuel.