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prenne au sérieux, donnes-en l’exemple toi-même. Étudie ta langue à fond. Pas d’à peu près. Remontres-en à ceux qui ont appris le latin et le grec. » Delphine se mettra du moins au latin sans retard, et documentera solidement par d’amples lectures ses inspirations de caractère historique « Ne marque dans ta mise, ajoutait la mère prévoyante, aucune des excentricités des bas-bleus ; ressemble aux autres par ta toilette ne te distingue que par ton esprit ! » Delphine adopta la mise la plus simple en effet : robe de mousseline blanche, écharpe de gaze bleue jamais une fleur dans ses cheveux.

En revanche elle affirme dès lors sa passion pour les choses de l’esprit, son ardeur à défendre ses amis et surtout son assurance, cette assurance imperturbable dont elle ne se départira jamais, dit M. Malo, qui ne l’empêchera pas de discerner ses propres ridicules, car il lui arrive d’en avoir, mais qui sera pour elle en toutes circonstances un puissant soutien et une grande force.

À dix-sept ans, elle envoie une pièce au concours poétique de l’Académie française sur ce sujet : « Le dévouement des médecins français et des sœurs de Sainte-Camille dans la peste de Barcelone. » Elle n’obtient qu’une mention honorable, mais avant toutes les autres mentions et voit s’y ajouter les plus flatteuses paroles de la part du secrétaire perpétuel, ce qui transforme ce précoce succès en triomphe. La presse retentit de son nom ; Sigismond Gay lui écrit d’Aix-la-Chapelle une lettre débordante d’un paternel orgueil « Jamais rien de ce qui sera grand, beau, généreux, élevé ne me surprendra de ta part, tant il est dans ta nature d’être distinguée et noble. Si l’affection est en raison des motifs qui l’inspirent, tu dois juger de l’étendue de celle que te porte le meilleur des pères ! ». C’est le style emphatique de l’époque, issu de Jean-Jacques mais le sentiment est excellent. Peu de mois après, Sigismond Gay meurt subitement, laissant les siens dans une situation qui deviendra bientôt précaire.

Sophie Gay fait bravement face à ce nouveau revers. Elle espère dans son talent littéraire, nous dit son historien, mais elle sait que ce talent a ses bornes le théâtre ne lui a été nullement favorable : ce ne sont pas ses propres moyens qui la maintiendront à ce niveau social qu’elle a conquis et qui, seul, peut satisfaire sa passion des choses de l’esprit, son besoin de bruit et d’éclat, son désir de voir et d’être vue, son ardente curiosité de toute innovation intellectuelle ou