Page:Le Journal des sçavans, nouvelle série, année 23, 1925.djvu/71

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’idées fines, spirituelles, d’appréciations profondes, de connaissance du cœur humain qui ait été imprimé depuis vingt-cinq ans ! » – Bien que le jugement soit peu flatteur pour Delphine et Corinne, en réalité si supérieures, Mme de Staël, qui l’ignore sans doute, a mis le volume en bonne place dans sa bibliothèque de Coppet. Enfin, on assure que Napoléon, au moment de quitter la Malmaison pour son lointain exil, tendit un volume au baron Fain en lui disant « Voici un livre qui m’a distrait cette nuit ! » Et l’exemplaire d’Anatole qui adoucit les heures du colosse écroulé resta dans la bibliothèque de Fain sous une magnifique reliure : En général, la critique reconnaît à Sophie le mouvement d’une imagination qui ne tombe jamais dans les lieux communs, une intelligence ouverte à tout, enrichissant tout, portant partout la vie, une âme à la fois sensible et éloquente, qu’ont mûrie les enseignements d’une existence à la fois si pleine et si variée.

Seul Stendhal se refusait à subir son charme elle faisait à son avis trop de bruit. Sophie s’assied-elle dans son voisinage, avec Delphine, il lance une bordée de propos singuliers, saugrenus, jusqu’à ce qu’elles quittent la place mais quand la mère, qui aime beaucoup le jeu, s’éloigne un moment de sa fille, la conversation redevient charmante et la jeune Muse y prend spirituellement sa part.

Beyle est en effet revenu d’Italie en France à peu près au moment où Delphine Gay fait ses débuts dans le monde. M. Malo nous la montre à seize ans avec ses boucles blondes et ses yeux bleus, dans le cadre poétique de Villiers-sur-Orge, près de Montlhéry, où les Gay possédèrent longtemps une maison de campagne qui est encore debout aujourd’hui. C’est là qu’elle module ses premiers vers, La Noce d’Elvire :

Jeune fille, où vas-tu si tard ?
D’où vient qu’à travers la vallée,
Tu portes tes pas au hasard ?
Pourquoi les égarer dans cette sombre allée ?

Rythmes qui rappellent ceux de Casimir Delavigne, alors dans leur fraîche nouveauté. Sa mère, la voyant sur le seuil de cette carrière des lettres dont elle connaît, par expérience, les inconvénients et les risques, lui donne deux conseils excellents : « Si tu veux qu’on te