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Les eaux minérales auxquelles doit son nom la ville d’Aix-la-Chapelle sont à ce moment fort estimées et la visite que leur fait, pendant l’été de 1804, la nouvelle impératrice des Français, Joséphine, les met tout à fait à la mode, Mme Gay qui est reconnue de l’aimable créole et fort bien traitée par elle, a conté plus tard ce séjour impérial avec esprit elle a fait la chronique moqueuse de cette cour de fraîche date et des platitudes qui se pratiquaient à l’envi autour des deux parvenus souverains. Elle se prête aussi certaines répliques à Napoléon qui pourraient bien avoir été un peu arrangées après coup et imitées de quelques mots célèbres de l’époque. L’Empereur l’aurait interpellée, dans sa manière brusque « Madame, on a dû vous dire que je n’aimais pas les femmes d’esprit. : – Oui, Sire ; mais je n’en ai rien cru ! Vous écrivez ? Qu’avez-vous fait depuis que vous êtes ici. — Trois enfants, Sire. »

À trente ans, Sophie Gay garde sa physionomie vive et mobile où l’esprit pétille, mais un esprit plus enjoué que raffiné : la taille belle, la figure régulière, l’air impérieux, le ton décidé, la parole prompte, la riposte vive, l’allure désinvolte, elle incarne excellemment cette génération active et sans préjugés. On s’amuse beaucoup chez elle : les soirées s’y prolongent au moins jusqu’à deux heures du matin. La musique y tient toujours une grande place. On prélude au romantisme par le retour au romanesque. On chante des romances élégiaques où les chevaliers gémissent sur leurs exils galants, où les troubadours plaintifs réclament la compassion de leurs dames mais on ne se prive pas de rire follement aux saillies qui fusent de toutes parts.

Toutefois un premier revers de fortune atteint Sigismond Gay, en partie par la faute de sa femme. Elle s’est montrée trop mordante vis-à-vis du nouveau préfet d’Aix-la-Chapelle, Ladoucette, et une inspection malveillante de la comptabilité de son mari fait suspendre celui-ci de ses fonctions, dont il sera entièrement privé peu après. Il lui reste sa banque qui prospère encore : le ménage fait donc à mauvaise fortune bon visage. Sophie reprend sa plume et publie successivement deux romans qui ne sont pas sans mérite, puisque Sainte-Beuve a caractérisé le premier, Léonie de Montbreuse, comme « un récit gracieux où il n’entre rien que de choisi et où l’auteur a semé de fines observations de société et de cœur » ; puisque le second, Anatole, est regardé par Goethe comme « l’ouvrage le mieux écrit le plus rempli