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AVANT-PROPOS

l’autre versant des montagnes d’Arrée, vous trouverez là, comme je les ai vus il y a trente ans, des villages préhistoriques, des familles préhistoriques. Vous approchez d’une chaumière : un homme, une femme, des enfants, composant une famille, non sans effroi, vous regardent passer. Vous leur parlez : tout rentre sous terre. Je veux dire dans la chaumière. Vous y pénétrez après eux. La masure, au ras de terre, éclairée d’une seule lucarne, sert d’étable à la vache, de soue à porcs, et d’habitation à toute une famille. Là, près de l’âtre enfumé où brûle un peu de lande avec de la bouse de vache desséchée, vous pourrez voir des êtres à peine humains, serrés les uns contre les autres, vous regardant avec des yeux effarés. Vous interrogez ? Pas de réponse. Ou bien des mots inarticulés, des mots d’une langue à eux, grognements de pourceaux peut-être, ou bêlements de brebis. Et, comme si les bêtes, jusqu’aux reptiles, fraternisaient toutes dans ce milieu d’effroyable sordidité, jetez les yeux vers la lucarne unique éclairant l’immonde chaumière : vous verrez là, tout humide de la buée infecte qui suinte le long des murs, un sourd jaune et visqueux, attiré sans doute par ce peu de lumière, collé des quatre pattes et de la queue à la vitre de la lucarne. Cette vision d’il y a trente ans m’est restée