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notre conversation. Mais j’allais l’encourager cependant ; lui dire de ne pas craindre de brusquer le grand gars ; qu’un secret sans doute le désespérait et que jamais de lui-même il ne se confierait à elle ni à personne — lorsque soudain, de l’autre côté du bois, partit un cri ; puis nous entendîmes un piétinement comme d’un cheval qui pétarade et le bruit d’une dispute à voix entrecoupées… Je compris tout de suite qu’il était arrivé un accident au vieux Bélisaire et je courus vers l’endroit d’où venait tout le tapage. Mlle de Galais me suivit de loin. Du fond de la pelouse on avait dû remarquer notre mouvement, car j’entendis, au moment où j’entrai dans le taillis, les cris des gens qui accouraient.

Le vieux Bélisaire, attaché trop bas, s’était pris une patte de devant dans sa longe ; il n’avait pas bougé jusqu’au moment où M. de Galais et Delouche, au cours de leur promenade, s’étaient approchés de lui ; effrayé, excité par l’avoine insolite qu’on lui avait donnée, il s’était débattu furieusement ; les deux hommes avaient essayé de le délivrer, mais si maladroitement qu’ils avaient réussi à l’empêtrer davantage, tout en risquant d’essuyer de dangereux coups de sabots. C’est à ce moment que par hasard Meaulnes, revenant des Aubiers, était tombé sur le groupe. Furieux de tant de gaucherie, il avait bousculé les deux hommes au risque de les envoyer rouler dans le buisson. Avec précaution mais en un tour de main il avait délivré Bélisaire. Trop tard,