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fenêtres, deux sur le bourg, deux sur la campagne, ornée aux murs des portraits jaunis des présidents Grévy et Carnot. Sur une longue estrade qui tenait tout le fond de la salle, il y avait encore, devant une table à tapis vert, les chaises des conseillers municipaux. Au centre, assis sur un vieux fauteuil qui était celui du maire, Meaulnes écrivait, trempant sa plume au fond d’un encrier de faïence démodé, en forme de cœur. Dans ce lieu qui semblait fait pour quelque rentier de village, Meaulnes se retirait, quand il ne battait pas la contrée, durant les longues vacances…

Il se leva, dès qu’il m’eut reconnu, mais non pas avec la précipitation que j’avais imaginée :

— Seurel ! dit-il seulement, d’un air de profond étonnement.

C’était le même grand gars au visage osseux, à la tête rasée. Une moustache inculte commençait à lui traîner sur les lèvres. Toujours ce même regard loyal… Mais sur l’ardeur des années passées on croyait voir comme un voile de brume, que par instants sa grande passion de jadis dissipait…

Il paraissait très troublé de me voir. D’un bond j’étais monté sur l’estrade. Mais, chose étrange à dire, il ne songea pas même à me tendre la main. Il s’était tourné vers moi, les mains derrière le dos, appuyé contre la table, renversé en arrière, et l’air profondément gêné. Déjà, me regardant sans me voir, il était absorbé par ce qu’il allait me dire. Comme autrefois et comme toujours,