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mongole et de la Hottentote ; et elle riait à petits coups, montrant le reste de ses dents très fines.

Mais tandis que je l’embrassais, elle me prit maladroitement, hâtivement, une main que j’avais derrière le dos. Avec un mystère parfaitement inutile puisque nous étions tous les deux seuls, elle me glissa une petite pièce que je n’osai pas regarder et qui devait être de un franc… Puis comme je faisais mine de demander des explications ou de la remercier, elle me donna une bourrade en criant :

— Va donc ! Ah ! je sais bien ce que c’est !

Elle avait toujours été pauvre, toujours empruntant, toujours dépensant.

— J’ai toujours été bête et toujours malheureuse, disait-elle sans amertume mais de sa voix de fausset.

Persuadée que les sous me préoccupaient comme elle, la brave femme n’attendait pas que j’eusse soufflé pour me cacher dans la main ses très minces économies de la journée. Et par la suite c’est toujours ainsi qu’elle m’accueillit.

Le dîner fut aussi étrange — à la fois triste et bizarre — que l’avait été la réception. Toujours une bougie à portée de la main, tantôt elle l’enlevait, me laissant dans l’ombre, et tantôt la posait sur la petite table couverte de plats et de vases ébréchés ou fendus.

— Celui-là, disait-elle, les Prussiens lui ont cassé les anses, en soixante-dix, parce qu’ils ne pouvaient pas l’emporter.