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envahissait déjà. À la lueur de la fin du jour, je regardais, en marchant, sa face anguleuse au nez droit, à la lèvre duvetée.

— Tiens, dit-il, j’ai trouvé ça dans ton grenier. Tu n’y avais donc jamais regardé ?

Il tenait à la main une petite roue en bois noirci ; un cordon de fusées déchiquetées courait tout autour ; ç’avait dû être le soleil ou la lune au feu d’artifice du Quatorze Juillet.

— Il y en a deux qui ne sont pas parties : nous allons toujours les allumer, dit-il d’un ton tranquille et de l’air de quelqu’un qui espère bien trouver mieux par la suite.

Il jeta son chapeau par terre et je vis qu’il avait les cheveux complètement ras comme un paysan. Il me montra les deux fusées avec leurs bouts de mèche en papier que la flamme avait coupés, noircis, puis abandonnés. Il planta dans le sable le moyeu de la roue, tira de sa poche — à mon grand étonnement, car cela nous était formellement interdit — une boîte d’allumettes. Se baissant avec précaution, il mit le feu à la mèche. Puis, me prenant par la main, il m’entraîna vivement en arrière.

Un instant après, ma mère qui sortait sur le pas de la porte, avec la mère de Meaulnes, après avoir débattu et fixé le prix de pension, vit jaillir sous le préau, avec un bruit de soufflet, deux gerbes d’étoiles rouges et blanches ; et elle put m’apercevoir, l’espace d’une seconde, dressé dans la lueur magique, tenant par la