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Mais l’autre, sans y prendre garde, poursuivit d’un ton légèrement emphatique :

— Je voulais mourir. Et puisque je n’ai pas réussi, je ne continuerai à vivre que pour l’amusement, comme un enfant, comme un bohémien. J’ai tout abandonné. Je n’ai plus ni père, ni sœur, ni maison, ni amour… Plus rien, que des compagnons de jeux.

— Ces compagnons-là vous ont déjà trahi, dis-je.

— Oui, répondit-il avec animation. C’est la faute d’un certain Delouche. Il a deviné que j’allais faire cause commune avec vous. Il a démoralisé ma troupe qui était si bien en main. Vous avez vu cet abordage, hier au soir, comme c’était conduit, comme ça marchait ! Depuis mon enfance, je n’avais rien organisé d’aussi réussi…

Il resta songeur un instant, et il ajouta pour nous désabuser tout à fait sur son compte :

— Si je suis venu vers vous deux, ce soir, c’est que — je m’en suis aperçu ce matin — il y a plus de plaisir à prendre avec vous qu’avec la bande de tous les autres. C’est ce Delouche surtout qui me déplaît. Quelle idée de faire l’homme à dix-sept ans ! Rien ne me dégoûte davantage… Pensez-vous que nous puissions le repincer ?

— Certes, dit Meaulnes. Mais resterez-vous longtemps avec nous ?

— Je ne sais. Je le voudrais beaucoup. Je suis terriblement seul. Je n’ai que Ganache…