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condition que ce fust non à Barget, mais en quelque détour et lieu écarté de ses terres, où on fit charroïer force matériaux on fit venir des ouvriers de toutes parts mais, quand on voulut commencer à bastir, tous les matériaux furent miraculeusement transportez à Barget ; ce qu’ayant esté raporté à Elorn, il attribua ce miracle à la Magie (selon l’ordinaire des Idolatres), & se fascha tellement avec sa femme & son fils, qu’il les chassa de sa maison, avec défense de ne se trouver jamais en sa présence.

VI. Par ce moyen, l’Église (qui aujourd’huy est la Parrochiale de Plouneventer, une lieuë de la Ville de Landerneau) demeura imparfaite & ne fut achevée qu’au temps du Roy Hoël le Grand. La bonne Dame, se voyant irreconciliablement disgraciée de son mary, que le zèle de la fausse Religion avoit aveuglé, se retira, avec son fils S. Riok, en un sien Manoir, nommé Ar-Forest, où, ayant fait bastir une Chappelle, elle passa le reste de ses jours, deceda fort pieusement & fut ensevelie par son fils S. Riok, lequel, se voyant libre de tous empeschemens, se résolut de se retirer en quelque lieu désert & éloigné de la fréquentation des hommes, pour vacquer plus librement aux affaires de son salut. Il estoit lors âgé de 15 à 16 ans ou environ  ; &, ayant vendu tout ce dont il pouvoit disposer, en donna l’argent aux pauvres. Il choisit pour sa retraite un rocher dans la Mer, à la coste de Cornoüaille, vers l’embouchure de la Baye ou Golfe de Brest, au rivage de la Paroisse de Kamelet[1], lieu entièrement désert & écarté, ceint de la mer de toutes parts, forts aux basses marées qu’on en peut sortir & venir en terre ferme.

VII. Il entra en cette affreuse solitude, environ l’an de salut 352, & y demeura 41 ans, tout le temps que Conan Meriadek conquist & subjuga les Armoriques jusques au règne du Roy Grallon, lequel donna le gouvernement du Comté de Léon à Fragan. Iceluy, estant venu resider en son Gouvernement, amena quant & soy son fils S. Guennolé, lequel, ayant oüy parler de l’Hermite saint Riok, l’alla voir en sa Grotte, &, l’ayant salué, aprit de luy qu’il y avoit quarante & un ans qu’il faisoit penitence en ce lieu, se substantant d’herbes & petits poissons qu’il prenoit sur le sable au pied de son rocher, son origine & extraction, & toutes les autres particularitez de sa vie que quand il monta sur ce rocher, il estoit vestu d’une simple soutane, laquelle estant usée par longueur de temps, Dieu luy couvrit le corps d’une certaine mousse roussastre, laquelle le garantissoit de l’injure du temps.

VIII. S. Guennolé, ayant oüy le récit de ces merveilles, fut tout étonné & en rendit grâce à Dieu &, voyant saint Riok vieil & cassé d’austeritez & macerations, il le pria de venir avec luy en son Monastere de Land-Tevenec, à quoy il s’accorda[2]. S. Guennolé l’ayant dépoüillé de cette mousse, luy donna l’habit de son Ordre ; & est chose bien remarquable, que sa peau fut trouvée aussi blanche & nette que si elle eust toujours esté couverte de fin lin & de soye. Il vescut quelques années en ce Monastère, en opinion de grande Sainteté, y deceda enfin & fut ensevely par saint Guennolé & ses Religieux, & depuis sa mort, Dieu a fait tant de miracles à son Tombeau, que S. Budok, troisième Archevesque de Dol, Metropolitain de Bretagne Armorique, en ayant esté deuëment informé, le déclara Saint, environ l’an 633.

Des ancien Manuscrits des Eglises Abbatiales de Land-Tevenec et Daouglaos en Cornouaille, et d’un vieil Livre reservé en l’Eglise parrochiale de Plou-Neventer, Diocese de

  1. Camaret. A saint Rioc on a substitué saint Remi comme patron de Camaret, et Notre-Dame de Lorette comme patronne de Lanriec, mais ici au moins il a gardé sa chapelle de Saint-Riou ; un recteur a bien voulu le remplacer par saint Bonaventure, mais le peuple a eu le bon sens de n’en pas tenir compte. A.-M. T.
  2. Si ce qui précède est exact il ne faut pas confondre ce saint Riok avec le personnage du même nom qui figure dans la Vie de saint Guénolé, et qui était encore assez jeune pour avoir toujours sa mère quand il entra comme religieux à l’abbaye de Landevennec. – A.-M. T.