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LA VIE DE SAINT GUINER, OU EGUINER,

Martyr, le 14. jour de Decembre.

AINT Guiner estoit gentil-homme Hybernois, lequel, estant de la Maison du prince Fingar (fils aisné d’un Roy de l’une des Provinces de ladite Isle, nommé Clyto), fut converty à la Foy, avec son maistre & grand nombre d’autres seigneurs, par la Predication de l’Abbé Princius (1), lequel, par commandement exprés du Ciel, à luy notifié par un Ange, avoit passé de la province de Cambrie en la grande Bretagne, dans l’Isle d’Hybernie, pour y prescher l’Évangile. Le Roy Clyto, qui estoit opiniastrement affectionné à sa fausse Religion, assistant un jour avec d’autres princes, en une assemblée où l’Abbé Princius arriva, s’apperceut que son fils Fingar se leva par honneur, de son siège et le salua, dont il fut extremément troublé ; &, l’Assemblée levée, il le tira à part, le reprit rudement d’avoir rendu cét honneur à un insigne imposteur, qui n’estoit venu en ce Pays à autre fin que pour anéantir le Culte des Dieux immortels, & ruïner tout à fait la Religion en laquelle ses ancestres avoient si religieusement vescu & glorieusement regné. Le prince répondit qu’il s’estonnoit plûtost, que ce saint Personnage preschant la vérité, il demeuroit obstiné en son erreur & aveuglement quant à luy, qu’il avoit renoncé au Culte des idoles & receu la Foy de Jésus-Christ, pour la deffense de laquelle il estoit prest de rendre le dernier soûpir. II. Le Roy, ayant ouy ces paroles, pensa mourir de regret &, tournant l’amour qu’il luy avoit porté, en haine, il luy dit mille injures, le mit prisonnier en une tour de son château, &, après l’avoir en vain tenté plusieurs fois, le voyant ferme & résolu en sa Religion, il convoqua les grands seigneurs de son royaume, &, en leur présence, fit amener le prince & le deshérita, le déclarant décheu & privé de toutes ses prétentions â la couronne, dont il saisit & investit son Cadet. Le prince Fingar, d’un visage gay & content, renonça franchement au sceptre terrien, pour s’asseurer du royaume céleste &, voyant que le Roy son père se disposoit à le persecuter, & tous ceux de sa maison, qui, à son exemple, avoient receu le Baptesme, il se résolut de suivre le conseil de nostre Seigneur, qui avisoit ses Disciples de fuir de ville en autre, quand on les persecutoit. Il amassa sa famille en son cabinet & y fit venir aussi plusieurs jeunes seigneurs nouvellement convertis à la Foy, à tous lesquels il proposa que son père, se disposant à persecuter, à toute outrance, tous ceux de ses sujets qui ne voudroient renoncer à la Foy de JESUS-CRHIST, & embrasser le Culte des idoles, il estoit résolu de ceder au temps & quitter son Pays pour se retirer en quelque province Catholique, où il pourroit servir Dieu en tranquillité ; tous furent de son avis, & promirent l’accompagner en la Bretagne Armorique, que tous jugèrent propre à leur retraite, comme terre Sainte & amie de Dieu. III. Cette résolution prise, ils firent leurs preparatifs & ayans avictuaillé un vaisseau, ils montèrent sur mer et cinglèrent vers la Bretagne. Toutefois, ils ne pûrent faire si secrètement leur affaire, que le Roy n’en sceust des nouvelles, lequel en fut extrêmément courroucé &, comme il est croyable, en écrivit à Theodoric, prince de Cornoûaille Armorique, és termes que sa rage & sa passion luy pûrent suggerer, luy faisant croire que son fils, le prince Guiner, avec trois cents autres, passoient la mer, pour luy aller faire la guerre, en faveur de son oncle Maxence, qu’il avoit vaincu & contraint de luy (1) D’après Dom Lobineau et M. de Kerdanet, il faudrait lire ici le nom du grand saint Patrice singulièrement altéré par Albert Le Grand.