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LA VIE DE S. TUGDUVAL.

hastivement en la petite Bretagne. » S’estant réveillé à cette voix, il descendit au Chœur & se mit en Oraison, priant Dieu que, si ce commandement venoit de sa part, il luy plût le reïterer & l’asseurer de sa sainte volonté. Les deuxnuits suivantes, l’Ange luy apparut de rechef, luy commandant mesme chose, &, à la dernière fois le menaçant, en cas de plus long délay. Le matin suivant, il fit sonner le Chapitre & manifesta ses visions à tous ses Religieux, leur déclarant que la volonté de Dieu estoit qu’il les quittast, pour aller outre mer, en la Bretagne Armorique ce que ses pauvres Religieux entendans, ils se jettèrent à ses pieds, le supplians de ne les pas délaisser. L’heureux Saint les consola, leur représentant qu’il estoit raisonnable d’obeïr au commandement de Dieu ; mais qu’il n’empeschoit pas que ceux qui le voudroient suivre ne s’embarquassent avec luy ; cela les réjouît, & se disposèrent, au nombre de septante-deux, de l’accompagner ; entr’autres, saint Ruelin, saint Guevroc, saint Goneri, saint Loëvan, saint Briac & autres saints Personnages, sa mère sainte Pompsea, laquelle, après la mort de son mary, avoit pris l’habit de Religion, sainte Sceve, sa sœur, laquelle aussi avoit voué sa virginité, dés sa première jeunesse (1), & une bonne veuve, nommée Malhelew, laquelle s’employoit à servir les Religieux, lavant leurs draps, tant ustanciles d’Église qu’autres ménages du Monastere.

IV. Ils se rendirent au havre prochain & y trouvèrent un vaisseau équipé de tout ce qui luy estoit requis, &, dedans, y avoit des jeunes gens de bonne façon, l’un desquels, qui sembloit estre le maistre & capitaine des autres, salüant le Saint, lui dit « Dieu vous garde (homme de Dieu), & toute vostre compagnie ; montez à la bonne heure dans ce vaisseau sinon que nous vous attendions, il y a long-temps que nous serions portez en la Bretagne Armorique. » Les Saints entrèrent dedans, &les ancres levées, on mit les voiles au vent, qui fut si favorable, que, le lendemain, à trois heures après midy, ils furent rendus sains & saufs à la coste de Léon, & mirent pied à terre en l’isle de Ker-Morvan, devant le Conquest, en la Paroisse de Plou-Moguer (2), &, aussi-tost, le vaisseau qui les avoit portez disparut, avec tout son attirail & équipage, si soudainement, qu’ils ne s’en pûrent appercevoir, ce qui leur fit connoistre que c’estoit une faveur speciale de Dieu, qui les avoit miraculeusement passez à travers l’océan, dont ils rendirent graces à sa divine Majesté.

V. S. Tugduval, après avoir remercié Dieu de cette faveur, s’enquit à qui appartenoient ces terres ; &, ayant apris que c’estoit au Seigneur de Léon, il l’alla trouver en la ville d’Occismor (ainsi s’appelloit alors la ville capitale de Léon, qui, à présent, s’appelle Saint-Paul-de-Léon, Siège d’Evesché), afin de lui demander quelque place au lieu où il avoit pris terre, pour y bâtir un petit Monastere, pour luy & ses Religieux. Comme il entroit dans la ville, il apperceut à la porte un pauvre homme boiteux, & tant exténué de maladie, qu’il n’avoit que la peau étendue sur les os, lequel, élevant sa voix du mieux qu’il pouvoit, lui demanda l’aumône ; S. Tugduval la luy donna, &, de plus, luy commanda, au nom de Jésus-Christ, de se lever sain ; ce qu’il fit, &, allant par les ruës & carrefours de la ville, au grand estonnement de ceux qui l’avoient connu, leur déclara l’arrivée de ce saint Homme, qui luy avoit donné la santé. Le Seigneur de Léon, avec les principaux de la ville, luy vinrent au devant, le recueillirent avec grand honneur & respect & luy accordèrent sa requeste, luy octroyant autant de terre qu’il luy en faudroit, se recommandant à ses prières. S. Tugduval s’en retourna vers ses confrères, & commença à édifier son Monastere dans une petite vallée, un quart de lieu du Conquest, là où, encore à présent, est l’Église Parrochiale, qui, de son nom, s’appelle Tré-Pabu, & jadis le (1) En breton Santé : Seo, ou Tiecou ou Set/a. A.-M. T.

(2) Alors appelé Plou-Macoer. A.-M. T.