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s’éloigner de leur devoir, le rendirent peu agreable à certains gentils-hommes débauchez, lesquels, incitez du diable, ne se pouvans autrement venger du Saint, empoignerent son boulanger, nommé Rhunna, & l’ayant lié pieds & mains, le porterent bien avant dans la gréve, afin que ne se pouvant aucunement remuer, la mer, en son montant, le suffoquast ; S. Malo sceut, par revelation divine, le danger auquel estoit ce pauvre homme innocent pour son sujet, & pria Dieu de le garantir de ce peril, Dieu exauça S. Malo, de sorte que la mer, au lieu de suffoquer ce pauvre homme, s’éleva, peu à peu, autour de luy, laissant une ouverture, comme la gueule d’un puits, par dessus sa teste, pour luy servir de souspirail, & la mer s’estant retirée, S. Malo l’envoya querir. Il délivra une pauvre femme grandement tourmentée du malin esprit, luy ayant fait boire plein un calice d’eau beniste, Une fois, un pauvre paysan, plein de bonne volonté, mais qui n’avoit gueres de bien, fit present au saint Prelat d’un jeune asnon pour le service de sa maison ; le Saint, ayant plus d’égard à la bonne volonté du donneur qu’au present, l’en remercia, &, depuis, se servoit de cét animal pour porter son bois et ses autres provisions ; mais le loup, ayant trouvé cet asne à son avantage, le devora : ce que rapporté à saint Malo, il se transporta à la prochaine forest, &, ayant fait couper & fagoter un gros faix de bois, appella le loup qui avoit mangé son asne ; le loup comparut, &, d’arrivée, se jetta aux pieds du Saint, comme demandant pardon de ce qu’il avoit fait ; mais, ne se contentant de cette satisfaction, il le condamna à servir au même usage à quoy servoit la beste qu’il avoit dévorée. Le loup se leva & tendit le dos, sur lequel fut chargé le faix de bois, &, depuis, il devint si domestique & serviable, qu’on en tiroit beaucoup plus de profit & service que de l’asne ; &, bien qu’il mangeast et logeast en même étable avec les autres bestes, il ne leur faisoit point de mal[1]. Faisant une fois sa visite, en passant un chemin, il trouva un pauvre porcher, lequel ayant, d’un coup de pierre, tué une truye, & craignant d’estre mal traité de son maistre, pleuroit fort pitoyablement, de sorte que le Saint en eut pitié, &, ayant fait sa priere, mettant le bout de son baston Pastoral en l’oreille de la truye, il la ressuscita.

IX. Le Roy Hoël III. de ce nom estant parvenu à la Couronne l’an de salut 594. comme c’estoit un jeune Prince hardy, vaillant & courageux, conseillé par quelques courtizans, il voulut entreprendre quelque chose contre les privilèges & libertez de l’Église d’Aleth[2] ; mais il se vit en teste S. Malo, lequel s’opposa courageusement à ses pretentions, l’admonestant doucement ; mais le Prince se voulant roidir & user de violence, Dieu prit en main la cause de son Église & de son fidele serviteur, & punit corporellement le Roy, permettant qu’il devinst tout à coup aveugle, &, par cette affliction corporelle, il l’admonesta de son devoir, car, rentrant en soy-même, il reconnut sa faute, en demanda pardon à Dieu & au Saint, par les prieres duquel il recouvra la veuë, &, depuis, resta fort devot au saint Evesque, auquel & à son Église il fit de riches presens & aumônes. Le diable, envieux du grand fruit & riche moisson que S. Malo amassoit és greniers de son Seigneur, anima contre luy certaines personnes perduës, lesquelles controuverent tant de calomnies

  1. Voyez chose semblable cy-dessus en la vie de St. Hervé, le 17 juin, p. 234, art. VII, et en St. Martin de Vertou, le 24 octobre, p. 529, art. V. A. Le fait qui précède a donné lieu à M. Georges CI.-Lavergne de représenter saint Malo avec un loup couché à ses pieds, dans les verrières du Grand-Séminaire de Quimper. A.-M. T.
  2. En réalité il ne s’agit ici nullement d’un roi Hoël III, m, us de Rcthw al gouverneur (nulrituià) du jeune prince Haeloc, l’un des frères puinés de saint Judicaël. Espérant régner sous le nom de son pupille, il résolut de le porter au trône, et pour atteindre ce but il voulut d’abord faire mourir les quinze autres fils du roi défunt Judael. Judicaël échappe à la mort en se faisant moine à Gaël, sous la direction de saint Méen sept autres échappèrent aussi. Parmi les sept qui périrent il en était un que son gouverneur avait réussi à cacher au monastere d’Aleth, dans la cellule même de saint Malo, mais Rethwal l’y poursuivit, l’enleva, et l’égorgea sous les yeux mêmes du saint. La vengeance divine ne tarda guère quelques jours après Rethwal mourut subitement.

    Le prince Haéloc, digne élevé d’un tel maître, fit aussi subir au saint Prélat les plus cruelles avanies ; en punition de ses méfaits il fut atteint de cécité. Guéri par saint Malo (610), il se convertit sincèrement, et jusqu’à sa mort (615), il se montra aussi bon qu’il avait été mauvais. (Hist. de Bnt Tome I, p. 470-472.)