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LA VIE DE S. GOEZNOU.

s’appelloit Land, distant d’une lieuë & demie de la ville de Brest, où, ayant édifie une petite chambre, il vaquoit à prieres, jeûnes & Oraisons.

II. Il y avoit, en ce temps, un Seigneur en ces quartiers, nommé Comorre, fils d’autre Comorre, que Judwal, Roy de Bretagne Domnonée, avoit vaincu & tué en la montagne d’Aré (1) ; lequel chassant dans la forest de Land, se trouva prés l’Hermitage de S. Goeznou, &, curieux de sçavoir qui demeuroit en cette Hutte, frappa à sa porte, entra dedans, salua gracieusement le Saint, & l’interrogea, qui & d’où il estoit, & ce qu’il faisoit en ce lieu désert & solitaire, & ayant entendu de luy un ample récit de sa vie passée, & que le désir de servir Dieu éloigné du bruit & tracas du monde, l’avoit conduit en ce lieu, il le prit en affection, &, inspiré de Dieu, luy fit offre d’autant de terre pour bastir un Monastere, qu’il en pourroit clorre de fossez en un jour. Le Saint accepta le don, &, ayant mandé à son frère saint Majan qu’il vint, il prit une fourche, & la traînant par terre, il marcha environ deux lieues de Bretagne, en quarré &, à mesure qu’il traînoit ce baston fourchu, la terre (chose étrange) se levoit de part & d’autre, & formoit un gros fossé, qui servoit pour séparer les terres qui luy avoient esté données, de celles de son Fondateur, lequel enclos a esté toujours tenu en telle reverence, qu’autrefois il servoit d’azile & de lieu de refuge aux mal-facteurs, & n’y eust-on ozé rien semer, ny labourer les terres comprises dans ce pourpris, pour les punitions arrivées à plusieurs, qui, ayans attenté de prophaner ce lieu, avoient esté chastiez de mort subite (2). III. Le Comte Comorre ayant veu de ses yeux ce grand Miracle, outre le don du fond du Monastere, le fit bastir à ses frais, ayant convoqué des ouvriers de toutes parts à cette fin, auxquels saint Majan donna le plan & dessein du bastiment. Tandis qu’on édiSoit le Monastere matériel, saint Goeznou disposoit les pierres vives pour le bastiment spirituel d’une sainte Communauté, instruisant grand nombre de jeunes hommes, qui, désireux de la perfection, s’estoient rendus ses Disciples. Une seule chose incommodoit saint Goeznou en ce lieu, c’estoit la dizette d’eau, tant pour l’usage de son Monastere, que pour la commodité des ouvriers, qui l’alloient querir bien loin de là ; mais Dieu y pourveut, & luy revela un certain endroit, où ayant foui deux pieds en terre, il trouva une bonne source d’eau vive, laquelle saint Majan nettoya & dressa, ayant cavé un bassin de pierre grise pour recevoir l’eau, qui de là alloit, par un petit ruisseau, arrouser un Ebéne, que S. Goeznou avoit planté de sa propre main. Le Monastère estant achevé, l’Église fut dédiée par saint Hoûardon, Evesque de Léon, l’an 642. lequel, admirant la sainteté de S. Goeznou, trois ans après, l’appella prés de soy, &, pour l’arrester, luy donna un Canonicat en son Église mais le saint Abbé, ne pouvant oublier sa chere solitude, obtint par importunité, permission de retourner en son Monastere, à l’extrême contentement de ses Religieux.

IV. Il fuïoit la conversation des femmes, & ne leur permettoit l’entrée de son Monastère, excepté l’Église ; &, pour marquer jusques où elles pouvoient aller sans scrupule ny danger, il fit élever une grande pierre, outre laquelle une femme ayant voulu passer, en mépris de la deffense du Saint, elle tomba en terre roide morte. Une autre femme, ayant poussé une sienne compagne outre ladite pierre, receut pareil chastiment de mort subite, & celle qui avoit esté poussée contre son gré n’eut point de mal. Pendant qu’on travailloit à son Monastere, il avoit de coustume d’aller, par les villages circonvoisins, quester des vivres pour ayder à nourrir ses ouvriers. Un jour, ayant demandé un fromage de lait à une femme, il en fut éconduit, la femme luy disant qu’elle n’en avoit point ; le Saint, en soûriant, luy répondit « Certainement, tu ments à ton escient (1) Voy. la vie de St. Samson, le 28 juillet, art. 14, p. 332. A.

(2) Voyez chose presque semblable a celle-ci en la vie de St. Goulven, le 1. do juillet, art. 9, p. 280, et en la vie de St. Briac, le 17 décembre. – A.