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LA VIE DE S. SULIAU.

& que leur trere aisné s’estoit retiré dans le Monastere de Meibot. Le Prince fut extrêmément troublé de cette nouvelle & envoya aussi-tost une compagnie de 300. cavaliers pour aller querir le Prince Suliau son fils, & luy apporter la teste de l’Abbé Guymarch, en cas de refus, ou résistance. Les satellites montèrent à cheval, &, à toute bride, ne cessèrent de galopper jusqu’à ce qu’ils furent arrivez en la ville de Meibot, où, s’estans rafraischis, ils furent trouver le gouverneur & la justice pour les assister & leur tenir main forte, afin d’exécuter le commandement du Prince. Ils descendirent tous, de compagnie, au Monastere, &, ayans fait venir l’Abbé, ils luy reprochèrent qu’il avoit débauché Suliau, luy conseillans & luy faisans commandement de le leur mettre entre mains autrement, qu’ils avoient ordre de le faire mourir. L’Abbé leur répondit modestement qu’il n’avoit pas débauché le Prince, ny persuadé de se faire Religieux ; mais que puisqu’il s’estoit rendu, de son plein gré, dans son Monastère, il ne le pouvoit sans blâme d’une punissable ingratitude, refuser l’un, ny dénier l’autre ; & que, pour satisfaire au commandement de leur maistre, & leur faire voir qu’il disoit la vérité, il le leur feroit venir, & que, s’il vouloit luy rendre l’habit Monachal & s’en retourner avec eux, il ne l’en empescheroit pas ; mais que, s’il désiroit demeurer au Monastere, il ne le pouvoit mettre par force dehors, & plustost endureroit la mort que de le faire.

III. Cette humble & modeste réponse refroidit, quelque peu, l’ardeur de leur colère mais ils voulurent voir le Prince Suliau, lequel, ayant paru sous l’habit, les rendit bien étonnez car ils ne croyoient pas qu’il eust esté si-tost vestu, veu qu’en ce Monastere on laissoit les Postulans un an en habit Seculier pour éprouver leur perseverance. Les ayant saluez & demandé permission à son Abbé de leur parler, il leur dît Messieurs, je confesse ingenuëment que si j’ay commis une faute contre mon père {sans faute toutefois, puisque je n’ay jamais en intention de l’offenser], ç’a esté d’estre sorty de sa maison sans son congé & benediction ; mais, me voyant appellé de Dieu en cette sainte Compagnie, & tenant pour certain que jamais mon Pere ne s’y fut accordé, plûtost y eut mis empêchement ; ayant appris que, lorsque Dieu nous appelle à son service, il faut quitter père & mère, &, sans avoir égard à leurs larmes, embrasser constamment la Croix de JESUS-CHRIST, cela tenant plus de pieté & de Religion que de cruauté & ingratitude (1). Au reste, si mon père est si implacablement irrité contre ce Monastere, qu’il ne se puisse apaiser que par le sang des serviteurs de Dieu, tenez, coupez ma teste & la luy portez, & ne trempez vos mains dans le sang de mon Pere Abbé que voicy & ses religieux, qui n’en peuvent mais &, puisque j’ay commis la faute [puisqu’on la croit telle ;, que seul je la puisse réparer (2). IV. Cette réponse du jeune Prince les apaisa, & s’en retournèrent devers leur maistre luy dire que son fils Suliau estoit résolu de mourir plûtost que de quitter l’habit qu’il avoit receu. Le Prince Brocmail, voyant la résolution de son fils, s’appaisa. Toutefois, saint Suliau, craignant qu’il ne vint le chercher au Monastere, supplia son Abbé de l’envoyer quelque autre part pour un temps, ce qui luy fut accordé, & eut obedience pour aller demeurer en un Prieuré dependant de son Monastere de Meibot, situé dans une isle, que fait le fleuve Mené, laquelle, depuis, fut de son nom apellée Enez Suliau, c’est à dire, l’Isle de Suliau, où il demeura l’espace de sept ans, menant une vie plus (1) Etiàm si in limine Pater jaceat ; licet, spar so crine et scissis vestibus, ubera quibus te nutrivit Mater ostendat, percarum perge Patrem, siccis oeulis ad vexillum crucis evola ; solum pietatis opus est in hac re esse crudelem. Hyeron. Epist. ad Ileliod. de laude vit. Solitar. A.

(2) Le monde juge bien sévèrement tout enfant qui entre en religion malgré l’opposition des parents. On serait encore plus éloigné de la vérité et de la justice en blâmant toujours qu’en approuvant toujours celui ou celle qui en ce cas use d’une liberté essentielle ; il y a des situations où les parents ont le droit de refuser leur consentement, d’autres où ils ont la droit et même le devoir de le différer, d’autres aussi où ils sont coupables odieusement ou ridiculement, mais les paroles de saint Jérôme qu’Albert Le Grand cite ici en note s’appliquent à un cas particulier, et il serait imprudent de les généraliser. A.-M. T.