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LA VIE DE S. HERVÉ.

Courtisan ne se laissa aller aux vices de la Cour, mais vivoit en la crainte de Dieu, s’adonnoit à l’Oraison, fréquentoit les Églises, donnoit l’aumône aux pauvres & sur tout gardoit, avec un soin singulier, sa pudicité.

II. Ayant demeuré quatre années en cette Cour, il s’en voulut retourner en son Pais, & demanda son congé au Roy, lequel, après plusieurs importunitez, le lui donna à regret, car il l’aimoit extremément à cause de sa vertu il le chargea de dons & présens & l’envoya en la Basse Bretagne vers le Lieutenant du Roy Jugduval, avec des lettres de recommandation pour le passer en son Pais. NHMU’n/ojt fut bien recueilly par ce Lieutenant & logea chez luy trois jours, pendant lequel temps, il songea, une nuit, qu’il avoit épousé une jeune vierge de ce Pais où il estoit, &, ayant eu la nuit suivante, le mesme songe, le lendemain matin, il entendit devotement la Messe et supplia nostre Seigneur que, si ses songes luy arrivoient par l’astuce & malice de l’esprit de fornication, il luy plût l’en délivrer, veu qu’il désiroit vivre chaste toute sa vie que, s’ils luy arrivoient de la part de Dieu, qu’il luy plût luy manifester plus clairement sa Sainte volonté. Il jeûna tout ce jour, &, le soir, ayant de rechef fait la mesme prière, il s’alla coucher & eut un troisième songe qui fut tel Il vid entrer en sa chambre un jeune homme, environné d’une grande lumière, lequel, l’ayant humblement salué, luy dit Qu’il ne doutast pas de prendre à femme celle qu’il avoit veuë en son songe, les nuits précédentes, laquelle, aussi-bien que luy, eust bien voulu garder sa chasteté mais que Dieu en avoit autrement disposé & vouloit que d’eux nasquist un Enfant, lequel seroit un grand Saint & Serviteur de Dieu « Vous la rencontrerez demain (dit-il) sur vostre chemin, prés d’une fontaine, & s’appelle Rivannone. »

III. Le lendemain, Huvarnion raconta au Lieutenant la vision qu’il avoit euë, lequel en fut fort joyeux, & montèrent tous deux à cheval pour aller vers la Mer ; mais ils ne furent gueres sans rencontrer la fille prés d’une fontaine, laquelle, interrogée de son Nom & Race, répondit fort courtoisement qu’elle avoit nom Rivannone ; que, son Pere estant decedé, elle demeuroit chez son Frere Riovaré. Cette réponse les fit retourner sur leurs pas, &, ayans mandé venir Riovaré & la vierge Rivannone, leur récitèrent la vision qu’avoit eu Huvarnion, & se trouva que la Fille en avoit eu une toute semblable, dont la compagnie fut bien aise, et fut conclu le Mariage, lequel fut tost après celebré, et allèrent les nouveaux Mariez demeurer chez leur Frere Riovaré.

IV. Sous le bout de l’an, Rivannone accoucha d’un Enfant masle, lequel vint au monde aveugle il fut Baptisé & nommé Huvarne, du nom de son Pere, lequel ne vescut que cinq ans après & mourut en opinion de sainteté, laissant son Fils Huvarne encore en bas âge, sous la tutelle de sa Mere, laquelle le nourrit & l’éleva fort soigneusement au territoire de Kereran, où encore se garde son berceau comme precieuse Relique ; à l’attouchement duquel plusieurs malades ont esté gueris. Estant grandelet, sa mère lui apprit sa creance & son Psaultier, lequel, sous l’âge de sept ans, il sçavoit tout par cœur & encore les Hymnes communs du Breviaire. Dieu, pour luy donner plus occasion de mérites, permit qu’il vint au monde privé de la veuë corporelle, de sorte qu’il luy falloit un guide pour le mener et conduire. Une fois, comme il alloit à l’Église Parrochiale, la vigile de la Toussaints, passant par un Village où on luy donna quelque rafraischissement, il s’assit sur un rocher pour se délasser une dent luy estant tombée en éternuant, il la mist en une fente de ce rocher ; estant party de ce village, poursuivant son chemin vers l’Église, les villageois virent, sur le roc où il s’estoit siz, une grande clarté comme d’une lampe ou flambeau mesme son guide, regardant derrière soy, vit le village d’où ils sortoient luire comme un grand brandon de feu, qui sembloit atteindre jusques aux nuës & en avertit le Saint Enfant, lequel luy dist « C’est ma dent qui reluit de la sorte, allez me la querir & je vous attendray ici, » &, ce disant, ficha son bourdon en terre ;