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d’eau, ce que voyant il fit le signe de la sainte Croix dessus, & l’eau se divisa de part & d’autre, donnant passage libre au saint & à son serviteur, puis se referma comme devant.

XX. Sur le chemin de Land-Treguer à Land-Volon, y a un pont, nommé Ar-Pont-Losket, lequel estant rompu, on voulut le refaire de bois ; le bois qui y estoit destiné fut coupé trop court de demy pied ; mais saint Yves, par sa prière, l’allongea & reduisit à longueur competente. Estant Recteur de Lohanech, il esteignit un grand incendie & embrasement de feu, qui s’estoit pris en une maison, levant la main & faisant le signe de la Croix vers le feu, lequel, (chose étrange) tout incontinent s’esteignit, sans plus y faire aucun dommage. En la Paroisse du Trevou[1], il y avoit un pauvre homme tellement agité du malin esprit, qu’on ne le pouvoit tenir, il fut amené à saint Yves, lequel, l’ayant fait coucher une nuit avec luy, le délivra entierement.

XXI. Voyant que l’Eglise Cathedrale de Treguer estoit fort caduque, petite, bâtie à l’antique, mal percée, obscure & doublée de simples lambris, il se resolut, avec l’aide de Dieu, de la reparer ; plusieurs se moquoient de cette entreprise, mais luy, qui avoit sa confiance en Dieu seul, les laissoit dire. Il alla visiter le Duc, les Seigneurs de sa Cour, les Barons & Seigneurs du Pays, les exhortant à contribuer à une œuvre si pieuse, fit faire des questes & cueillettes parmy le Peuple, obtint quelques deniers communs de la Ville, persuada l’Evesque, son Chapitre, les Recteurs & Clergé du Diocese d’y contribuer du leur, avec tant d’efficace, qu’il n’y eut ny grand ny petit qui n’y contribuast tres-volontiers. On convoqua ouvriers de toutes parts, lesquels, (les materiaux déja rendus sur la place), reparerent, en peu de temps ce Temple, & Dieu fist connoistre, par un grand miracle, combien ce service luy avoit esté agreable ; car saint Yves ayant eu avis que, dans la forest de Rostrenen, y avoit de beaux arbres, alla trouver le Seigneur Pierre de Rostrenen pour luy en demander quelques uns, & obtint de luy permission d’en prendre autant qu’il luy en faudroit, à son choix.

XXII. S. Yves le remercia & s’en alla fi la forest, choisit grand nombre de beaux arbres, les fait abattre & marquer. Mais comme la Cour des Grands est, d’ordinaire, remplie de flatteurs, aucuns de ce metier qui avoient ouy saint Yves faire cette demande au Seigneur & l’eussent bien voulu faire dés lors conduire, mais n’avoient osé en presence du Saint, le lendemain, dirent au Seigneur qu’il estoit bien simple de se laisser ainsi affronter par cet hypocrite ; que sous pretexie de bastir l’Eglise de Land-Treguer, amassoit un grand argent, & qu’abusant du pouvoir qu’il avoit eu, il avoit abbatu deux fois plus d’arbres qu’il n’en falloit pour cet édifice, & des plus beaux qui fussent dans la forest. Ce Seigneur, croyant trop legerment aux faux rapports de ces gamemens, se mist en colere contre le Saint &, quand il s’en fust retourné le remercier, le tença rudement & luy dist meme quelques injures & mots de travers.

XXIII. Saint Yves endura patiemment cette attaque & répondit seulement : que c’estoit pour le service d’un Seigneur, qui estoit riche & puissant pour le recompenser & qui ne manquoit jamais à recompenser ceux qui se monstroient liberaux à luy bastir & orner des Temples ; au reste que la chose n’estoit pas comme on la lui faisoit entendre ; que, le lendemain matin il luy feroit voir qu’il n’avoit pas pris d’un seul pied plus qu’il n’en falloit pour l’édifice, au dire des ouvriers qu’il avoit amenés. Le lendemain donc, la Messe ouye dans la Chappelle du Chasteau, saint Yves & le Seigneur de Rostrenen, son train & les ouvriers allerent à la Forest voir les arbres qu’on avoit abbatus & marquez ; ils trouverent (chose miraculeuse) que sur le tronc de chacun arbre qui avoit esté coupé le jour precedent, cette nuict, estoit crû trois arbres, beaucoup plus beaux que ceux

  1. Il est question ici de la paroisse du Tréhou, de l’ancien diocèse de Léon. — P. P.