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Evesque de Treguer, jugeant que Dieu le luy envoyoit pour le service de son Eglise, le fit Official de Treguer & Recteur de la Paroisse de Tre-Trez, lequel Benefice il posseda huit ans. Il se comporta en cét office de Juge Ecclesiastique avec si grande integrité, qu’il ravissoit tout le monde en admiration de sa vertu, & remarqua-t’on que jamais il ne prononça Sentence, qu’on ne luy vist les larmes couler le long des jous, faisant reflection sur soy-mesme & considerant qu’un jour il devoit luy-mesme estre jugé.

IV. Il taschoit à pacifier ceux qu’il voyoit en discorde, sur le point d’entrer en procés ; &, lors qu’il ne les pouvoit mettre d’accord, il assistoif ceux qui avoient le bon droit, specialement les pauvres qui n’avoient les moyens de poursuivre leur droit ; ausquels il fournissoit liberalement de l’argent pour leurs frais ; mesme poursuivoit les appellations des Sentences iniques & jugemens pervers donnez contr’eux ; comme il fit pour une pauvre veuve nommee Levenez, de laquelle il entreprit la defense contre un gros usurier, plaida sa cause & la gagna ; & fit de mêmee pour un pauvre Gentilhomme, nommé Messire Richard le Roux, chicané par l’Abbé du Relec, ayant premierement fait jurer audit le Roux, qu’en sa conscience il croyoit avoir le bon droit. Et encore bien qu’il prist plus gayement en main la defense des miserables & pauvres gens, dénuez d’assistance & faveur, que des grands Seigneurs, & que mesme, en faveur de ceux-là, (quand ils avoient bon droit) il faisoit décheoir ceux-cy de leurs prétentions, neantmoins jamais on ne s’est plaint qu’il ait donné jugement inique, ny entrepris la defense d’aucune cause qui ne fut bonne & juste.

V. Il jugea, un jour, une cause de Mariage en faveur d’un jeune homme qui revendiquoit une fille pour femme, laquelle n’y vouloit consentir ; toutesfois, S. Yves, sur les preuves qu’il trouva contr’elle, la condamna ; elle en apella à Tours, où le Saint se rendit pour soûtenir sa Sentence. L’Official de Tours, ayant fait seoir S. Yves prés de soy, fit visiter le procés ; &, d’autant que par les enquestes il ne paroissoit rien du Mariage, l’Official de Tours demanda à S. Yves qui l’avoit meu de donner la Sentence commee il l’avoit donne : parce (dit-il) que la fille m’a confessé le Mariage[1]. Alors, l’Official de Tours interrogea publiquenent la fille, laquelle nia le fait ; & S. Yves, l’ayant, en presence de l’Official de Tours, interrogea, elle le confessa de rechef. L’Official de Tours la reprenant d’inconstance de ce qu’elle avoit nié que ce fust son mary, aussi le nié-je (dit-elle). S. Yves, reprenant la parole, l’interrogea de rechef en cette sorte : « Venez-ça ma Fille ; m’avez-vous pas confessé que vous l’aviez pris en Mariage ? » « Ouy, (dit-elle) il est mon mary & je suis sa femme, &, tant qu’il vive, n’auray autre mary que luy. » L’Official de Tours, voyant ce mystere, resta tout étonné ; &, averty de la grande Sainteté de S. Yves, luy ceda la Chaire pour confirmer sa Sentence.

VI. Ce qui luy arriva, une autre fois, en la mesme Ville de Tours n’est pas moins remarquable. Y estant allé pour une autre cause de Mariage, qui avoit esté poursuivie par devant luy, entre un Gentilhomme & une jeune Damoiselle, laquelle se portoit apellante de certaine Sentence donnée par S. Yves, Official de Treguer, par devant l’Official de Tours, le Saint y alla soûtenir sa Sentence. Il avoit de coûtume de loger chez une honneste & riche veuve, laquelle, dés qu’elle le vid, commença à pleurer & luy dire : « Ha ! Monsieur mon cher hôte, je suis ruïnée sans remede, par un mechant garnement qui a plaidé contre moy, & seray demain condamnée à luy payer douze cens écus d’or, à tort & sans cause. » S. Yves la consola, l’exhortant d’avoir sa confiance en Dieu, lequel ne l’abandonneroit pas en son affliction, & la pria de luy faire entendre son affaire, luy promettant de l’assister en tout ce qu’il pourroit. « Monsieur, (dit-elle) il y a environ deux mois que deux hommes, accoustrez en Marchands, vinrent loger ceans,

  1. « Confessé » doit évidemment être pris ici dans le sens d’avoué ; remplissant les fonctions d’official saint Yves n’avait nullement à entendre en confession une des parties intéressées dans le procès. A.-M. T.