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LA VIE DE SAINT YVES,


Prestre, Official de Tréguer et Recteur des Paroisses de Tre-Trez et Lohanech, au mesme Diocese, le 19. May.



L’ HEUREUX SAINT YVES, Miroir des Ecclesiastiques, ornement de son siecle, Advocat & Pere des pauvres veuves & orphelins, Patron universel de la Bretagne Armorique, mais specialement de l’Evesché de Treguer, nasquit au Manoir de Ker-Martin, en la Paroisse de Menehi, Diocese de Treguer, distant de la Ville de Land-Treguer d’un quart de lieue. Son pere s’appelloit Helory de Ker-Martin, Sr. dudit lieu, & sa mere Azo du Kenquis, fille de la Maison du Kenquis, c’est-&-dire en François le Plessix, en la Paroisse de Pleu-meurit-jaudy, prés la Ville de la Roche-Derien. Il vint au monde le 17 Octobre l’an de salut 1253, seant en la Chaire Apostolique le Pape Innocent III, sous l’Empereur Conrad, & le 17. du regne de Jean I. du nom, surnommé Le Roux, Duc de Bretagne.

Ses parens furent soigneux de l’élever, nommément sa Mere, Dame fort pieuse, laquelle avoit eu spéciale revelation de sa future Sainteté ; &, aussi tost qu’il eut passé ses premiers ans, le pourveurent d’un Precepteur, lequel, en la Maison paternelle, luy donna les premieres impressions de la pieté, & luy enseigna aussi les premiers Rudimens des sciences, quoy l’enfant se portoit de grande affection. Il frequentoit les Eglises, écoutant attentivement le service Divin, pendant lequel, il disoit ses Heures de N. Dame lesquelles il recitoit tousles jours sans y manquer.

II. Ayant suffisamment étudié au Païs, son pere, le voyant desireux de continuer ses études, l’envoya Paris, l’an de salut 1267, & de son âge le 14. ; il s’habitua en la Ruë au Fèvre & s’adonna à l’étude de la Logique & des Arts, esquelles sciences il profita si bien, qu’il fut passé Maistre és Arts. Alors, il changea de logis & alla demeurer en la ruë du Clos-Bruneau, s’occupant à entendre le Texte des Decretales, la Theologie Scolastique & le Droit Canon. Ayant consommé son cours en ces sciences, il alla de Paris à Orleans, l’an de grace 1277, le 24. de son âge, où il etudia en Droit Civil, sous le fameux Jurisconsulte Maistre Pierre de la Chappelle, lequel depuis, pour ses merites, fur fait Cardinal de l’Eglise Romaine. Ayant achevé son cours en Droit Civil, il vint en Bretagne & s’arresta en la ville de Rennes, où il frequenta les écolles d’un docte & pieux Religieux de l’Ordre de S. Francois, sous lequel il oûit le quatrieme livre des Sentences & l’interpretation de la sainte Escriture, enflammant sa volonté en l’Amour de Dieu, à mesure que son beau jugement le luy faisoit connoistre, &, par la familiere frequentation qu’il avoit aec ce Pere Cordelier, qui estoit renu en reputation de grande Sainteté, il conceut un saint mépris du monde et se résolut de le quitter tout à fait & de se ranger au service de Dieu & de l’Eglise ; ce que longtemps auparavant il avoit projetté.

III. Il print les Ordres de rang jusqu’à la Prestrise inclusivement, menant une vie si sainte & si édificative, que l’Archidiacre de Rennes, en estant informé, l’apella prés de soy & le fit son Official, Charge qu’il exerça avec reputation de grande integrité; mais, yoyant que le Peuple Rennois estoit fort litigieux, il quitta son Officiauté qui luy valoit cinquante livres de rente (grosse somme en ce temps-là), & s’en vint au Païs, au grand contentement de tous ceux qui le connoissoient. L’Archidiacre, le congédiant, luy donna un cheval pour le porter au Païs ; mais il le vendit dés Rennes & en donna l’argent aux pauvres, puis s’en vint à pied au païs, où il ne fut gueres, que Messire Alain de Bruc,