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il fut surpris d’un doux sommeil ; pendant lequel, un Ange luy commanda de passer la mer & d’aller en la Bretagne Armorique pour y prescher l’Evangile. Le Saint, revenu à soy, convoqua ses Religieux, leur fit sçavoir le commandement que l’Ange luy avoit fait ; &, de leur avis, voyant les affaires de la Religion prosperer de mieux en mieux, choisit cent soixante & huit de ses Moynes & se disposa pour avec eux passer la mer. Ils s’embarquerent donc & tournerent la prouë vers nostre Bretagne ; &, comme ils estoient au milieu de leur course, le diable, connoissant qu’ils l’alloient combattre & délivrer les Ames de sa servitude, arresta le vaisseau ; mais saint Brieuc, par ses prieres, repoussa ses efforts, si-bien que, continuans leur route, ils arriverent à la coste de la Bretagne Armorique & entrerent dans l’embouchure du fleuve Jaudy, qui, passant par sous le Chasteau de la Roche-Derien, se décharge dans le Canal, ou, pour mieux dire, Riviere de Land-Treguer, & s’arresterent là où maintenant est bastie la Ville de Land-Treguer.

X. Ils furent les biens venus & fort gracieusement recueillis par les Bretons Trecorois, lesquels ayderent au Saint à bastir un Monastere en ces quartiers pour luy & ses Moynes. Estant rapellé en son Païs, pour le délivrer de la peste qui y faisoit un grand ravage, il mist Superieur dans son Monastere un sien Néveu, lequel, s’estant bien comporté au regime du Monastere, à son retour, il le continua en charge & le fit Abbé en chef ; puis, choisissant quatre-vingt-quatre Moynes de ce Monastere, & ayant pris congé de son Néveu & des autres Religieux, il s’embarqua, &, devalant la Riviere de Land-Treguer, s’élargit en mer, rengeant la Coste jusqu’au Havre de Cesson, maintenant nommé le Legué, qui est le Havre de S. Brieuc, où ayant pris terre, il se mist à considérer l’assiette & situation du lieu, lequel trouvant un séjour agreable, il entra dans une forest là prés, suivy de ses Religieux, où estans en colloques & devis Spirituels, ils furent aperceus par un Chasseur, domestique du Comte Rigual, qui demeuroit lors dans un sien Manoir prés cette forest. Ce Chasseur, les voyant en si grand nombre, accoustrez d’une façon inconnue en ce Païs, les soupçonna d’estre quelques épies & s’en alla, le grand gallop, en avertir son Maistre, luy disant qu’ils estoient assis prés d’une fontaine.

XI. Rigual, ajoustant foy au discours de son Chasseur, commanda à une troupe de ses gens de monter à cheval & les tailler tous en pieces ; mais à peine ces soldats estoient hors des portes du Manoir, que Rigual fut saisi d’une maladie par tout le corps, si aiguë & violente, qu’il ne pouvoit durer, qui luy fist reconnoistre que c’estoit une punition de Dieu ; repentant d’un commandement si cruel & si legerement fait, il contremande ces satellites & fait prier les Saints de le venir trouver ; S. Brieuc s’y accorda volontiers & y vint, accompagné de ses Moynes ; & incontinent qu’il fut entré dans la salle, Rigual, le connoissant, s’écria : « Quoy ? c’est Brieuc, mon Cousin ! » & luy demanda pardon de l’outrage qu’il luy avoit voulu faire & à ses Religieux, le suppliant de prier Dieu pour sa santé. Le Saint, l’ayant resalué & consolé, se mist en prieres ; puis, ayant fait venir de l’eau, la benist, l’en arrousa & luy en fit boire, & incontinent il se leva du lict sain et dispos, l’embrassa étroittement, & en reconnoissance de cette faveur, luy donna ce sien Manoir, avec toutes ses apartenances, pour s’y accommoder & ses Religieux.

XII. S. Brieuc, ayant accepté ce don, bastit un petit Oratoire prés de la fontaine où il s’estoit premiérement arresté (laquelle a esté depuis nommée la fontaine de S. Brieuc) ; puis, plus à loisir, se mist à édifier un Monastere joignant le Palais de Rigual (qui est le Manoir Episcopal) ; &, pour ce faire, il fit couper plusieurs arbres de la forest, tant pour donner place au bastiment que pour servir à la charpente. Le Monastere parachevé, saint Brieuc y vint demeurer avec tous ses Religieux ; la renommée duquel,