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fort doux & simple, la Sainteté duquel Dieu avoit manifestée par plusieurs grands Miracles. Alvandus ne se tint pas satisfait de cette reponse de son Senéchal, mais commanda à ses laquais & palfreniers de luy amener le Saint. Ces canailles, qui ne cherchoient que proye, s’encoururent vers la Cellule du Saint &, l’ayant tiré hors, se ruerent sur luy, comme Loups affamez sur une pauvre brebis, les uns le frappans à coups de poings & de pieds, autres à grands coups de gaules de chasse & autres bastons, le battirent si outrageusement, qu’ils luy rompirent deux costes du costé droit & le laissèrent pour demy mort. Le Senéchal, craignant que ces méchans gamemens ne fissent plus qu’il ne leur estoit commandé, les suivit le plûtost qu’il pût, ayant rendu le Seigneur Alvandus en son Manoir ; mais il n’y pût si-tost arriver qu’ils n’avoient joüé leur tour.

III. Quand il vid le Saint en cet estat, il ne se pût tenir de pleurer, &, mettant pied à terre, chassa ces coquins, les menaçant d’étrener d’une corde celuy qui plus attenteroit à le toucher ; puis, luy tendant la main, le releva. Lors, l’heureux saint Goneri, se prosternant à genoux, la larme à l’œil, suplia Dieu de leur pardonner cette offense, luy rendant graces de ce qu’il luy avoit plû luy faire l’honneur d’endurer quelque chose pour sa gloire. Mais Dieu vengea bien tost & bien vigoureusement cét outrage fait à son serviteur ; car tous ces garnemens devinrent, sur le champ, tous étourdis ; puis apres, ils commencerent à trembler de tous leurs membres ; ils perdirent la veuë, & la parole, & la teste leur tourna sur le col, la bouche leur demeurant ouverte, sans se pouvoir fermer en façon quelconque. Les miserables, sentans, à ce coup, la pesante main de Dieu sur eux, se jetterent à terre aux pieds du Saint, &, levans les mains au Ciel, montroient signes de repentance ; le Senéchal, voyant tout cela, monte hastivement à cheval & court à toute bride porter ces nouvelles à Alvandus, lequel s’en vint trouver le Saint, se jetta humblement à ses pieds, luy demanda pardon pour soy, & santé pour ses serviteurs.

IV. Saint Goneri, voyant Alvandus contrit & repentant, se rejouissant d’avoir trouvé l’ocasion de gagner ces Ames Dieu, se prit à les Catéchiser & à leur annoncer la verité de l’Evangile en ces paroles : Messieurs qui estes icy presens, puis qu’il plaist à Dieu que je vous annonce la verité, & que je vous voye disposez de l’écouter, je vous signifie qu’il n’y a qu’un seul Dieu qui a crée le Ciel, la Terre, la Mer & tout ce qui est en iceux, Dieu Pere, Fils & Saint Esprit, trois Personnes en un seul Dieu, la seconde Personne de laquelle Trinité est descenduë du Ciel, s’est incarnée au ventre d’une Vierge par operation du S. Esprit (ainsi qu’il avoit esté prédit par les Prophetes) &, partant, est Dieu & Homme ; lequel voulut estre Né, Circoncis, Baptizé par S. Jean ; a operé de grands miracles, pour nous trahy par son Disciple Judas, flagellé des Juifs, condamné par Pilate, Crucifié, Mort, mis en un Tombeau, d’où il et ressuscita Glorieux & triomphant le tiers jour ; est monté au Ciel, et sis à la Dextre de Dieu son Pere, d’où, à la fin des siecles, il doit venir juger les vivans & les morts. Voilà un sommaire de nostre Foy, laquelle, si vous voulez embrasser, vous jouirez de la gloire & felicité eternelle qu’il a promis à ceux qui croiront en luy & le serviront fidellement & de tout leur cœur. »

V. Le Saint, les voyant tous disposez de recevoir la Foy, se mit en Oraison, supliant Nostre Seigneur de pardonner à ces pauvres gens l’injure qu’ils luy avoient faire & leur rendre leur santé &, à peine avoit-il achevé son oraison, que tous ces pauvres miserables retournèrent en parfaite santé ; leur col se remit, la veuë leur revint & la parole aussi ; ce qui estonna tellement Alvandus, qu’il se jetta, de rechef, aux pieds du Saint, luy demandant pardon de l’outrage qu’il luy avoit fait ; &, en outre, le voulut mener en son manoir & luy offrit tout son bien pour en disposer sa volonté ; mais le