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l’Image du Crucifix, sans démonstration de douleur quelconque, il rendit sa sainte Ame entre les mains de son Createur, le Dimanche, douzieme jour de Mars, l’an de grâce cinq cens nonante-quatre, le cent deuxième de son âge, seant à Rome saint Gregoire le Grand, le dixième de l’Empire de Maurice, la premiere du regne de Hoël troisième du nom, Roy de Bretagne Armorique, Juhaël, fils de Juduval, regnant en basse Bretagne, & en France Chilperic second du nom. Le corps fut lavé & revétu de ses Ornemens Pontificaux, posé sur un lict honorable dans la Nef de l’Eglise du Monastere de Baaz, où il se rendit si grande affluence de peuple pour reverer & toucher par devotion ce saint Corps, que le courant de Mer, qui est entre le Bourg de Roscow & l’Isle de Baaz, estoit couvert de Batteaux, Cocquereaux, Chalouppes & Gondoles, qui passoient & repassoient le peuple.

XIV. Tout l’appareil des obseques estant prest, Cetomerinus, revetu Pontificalement, accompagné de ses Chanoines & du Clergé Leonnois, se presenta pour lever le saint Corps & le conduire à la Barque qu’on avoit équippée pour le passer en terre ferme mais les Moynes de Baaz s’y opposerent, ne se voulans, pour rien, dessaisir de ce saint Corps ; les Insulaires Leonnois en dirent de mesme, &, de parole en parole, en vinrent aux menaces. Les Insulaires disoient pour leur raison qu’il estoit mort chez eux, là où il avoit premièrement residé ; les Chanoines & habitans d’Occismor répondoient qu’il y avoit esté leur Evesque, &, partant, estoit seant qu’il fut inhumé en sa Cathedrale ; que les dernières volontés, lors qu’elles sont justes, doivent estre inviolablement exécutées ; que le Saint, au lict de la mort, avoit declaré vouloir que son Corps fust enterré en sa Cathedrale. Enfin, aprés plusieurs répliques, l’Evesque Cetomerinus, certain de ce que S. Paul luy avoit ordonné en ce cas, fit faire deux chariots couvert, & à chacun fit joindre un couple de bœufs, les disposant tellement au milieu de la plaine, que l’un regardoit vers Occismor, l’autre vers le Monastere de Baaz ; puis, ayant fait apporter le S. Corps, on le mist également sur ces chariots ; de sorte que la moitié estoit sur l’un & l’autre moitié sur l’autre, laissant en l’option du saint Corps d’aller où bon luy sembleroit. Chose merveilleuse ! si tost qu’on eût levé le saint Corps sur les chariots, il disparut si soudainement, qu’encore bien que tout le peuple le regardast aucun ne pût scavoir ce qu’il devint, &, les bœufs commançans à marcher, traînerent leurs chariots, l’un vers la barque des Leonnois, l’autre vers le Monastere de Baaz.

XV. Les Moynes & les Insulaires suivirent leur chariot, &, estans arrivez au Monastere, leverent le couvercle & ne trouverent rien dedans. Le Clergé & le peuple de Leon, ayant passé la mer, firent de même & trouverent le Corps en leur chariot, lequel ils conduîrent en grande joye & solemnité en l’Eglise Cathedrale, où, l’Office de ses obseques solemnellement celebré, il fut inhumé en un sepulchre au milieu du chœur ; mais ce saint Thresor ne fut pas long-temps caché sous terre, que Dieu ne le manifestast par grands miracles, si frequens, que saint Goulven, successeur de Cetomerinus, le levan de terre & colloqua ses saints Ossemens, richement enchâssés, parmy les autres Reliques de son Eglise de Leon, où ils ont esté reveremment gardez & religieusement visitez par les Bretons & estrangers jusques à l’an de grâce 878, que les Danois, estans descendus en Bretagne Armorique, ravagerent le pays, renversans les Eglises, brûlans les saintes Reliques & mettans tout à feu & à sang par tout où ils passoient. Liberal, pour lors Evesque de Leon, enleva les Reliques de S. Paul & les porta au Monastere de S. Florent là où elles ont demeuré jusques à l’an 1567, que les Huguenots, s’estans rendus maistres de ce celebre Monastere, brûlerent ou jetterent les saintes Reliques et butinerent les riches Chasses où elles estoient encloses.


XVI. Le Bien-heureux Pere Felix, natif du Diocese de Cornoüaille, s’estant retiré en l’Isle d’Ouessant, ayant entendu que le Corps de S. Paul avoit esté transporté à