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douze Prestres, ayant pris congé du Roy (qui, à toute force, le vouloit retenir & le refusa d’une clochette qu’il luy demandoit) il s’embarqua au port de la Ville & vint surgir auprès d’un Monastere de filles, où sa sœur estoit Abbesse, laquelle fut extrémement aise de voir son frere, & passerent trois jours en ce lieu, au bout desquels, saint Paul fit reculer la Mer quatre mille pas loin dudit Monastere (dans lequel elle entroit auparavant aux grandes marées) & commanda à sa sœur & à ses filles de borner la liziere & extrémité de petits cailloux, lesquels, tout à l’instant (chose étrange !) creurent en grands et hauts rochers, pour servir de bornes à la Mer & comme de fortes digues pour brider sa furie, demeurant seulement une petite voye entre ces horribles écueils au lieu où le Saint & sa compagnie avoient passé, & s’appelloit Hent-Sant-Paul, c’est-à-dire, le chemin de saint Paul[1].

VI. Lequel ayant dit adieu à sa sœur & donné sa benediction à ses filles, remonta sur mer, &, ayant traversé l’Occean Britannique ou Manche d’Angleterre, aborda à l’Isle de Heussa ditte en François Oùessant, éloignée de la coste du bas Leon de sept lieuës de Bretagne, où ils prirent terre, l’an 517, grayerent leur vaisseau & le tirerent à sec trouvant le lieu solitaire & propre à leur dessein, y édifierent un petit Monastere, consistant en une Chappelle & treize petites Cellules de gazons, couvertes de glays, où ayans vescu six mois, Dieu leur commanda, par un Ange, de s’embarquer de rechef, parce que ce n’estoit pas là le lieu où il devoit s’arrester ; à quoy il obeït, & se mit en mer, rengeant la coste de Leon, de l’Oüest à l’Est, sans perdre la terre de veuë, jusqu’au Havre du Kernic en la Paroisse de Plounevez, où ils se desembarquerent & voulurent de rechef bastir leur Monastere ; mais S. Paul eut revelation d’avancer encore en pays ; ce qu’il fit, tirant vers la Ville d’Occismor[2]. Proche d’icelle il fit rencontre d’un Maistre Berger du Comte Guythure, Gouverneur du Comté de Leon, duquel il s’enquist à qui appartenoit le pays où il estoit, &, ayant appris que c’estoit audit Comte Guythure, qui demeurait en l’Isle de Baaz, vis à vis du Bourg de Roscow, il s’y fit conduire, &, par le chemin, rendit la veuë à trois aveugles, leur touchant les yeux de son baston, lequel miracle fust suivi de la guerison de deux muets, ausquels, par sa seule benediction, il rendit l’office de la langue. Les Saints passerent en l’Isle &, entrans dans le Bourg de Baaz, S. Paul rendit la santé à un Paralytique, puis se fit conduire droit au Palais du Comte.


VII. Le Comte le receut amiablement & devisa long-temps avec luy de ses voyages ; &, comme ils tomberent sur le propos du refus que le Roy Marc luy avoit fait d’une clochette qu’il luy avoit demandée, voicy entrer les pescheurs du Comte, qui luy aportoient la teste d’un gros poisson qui avoit esté pris au rivage de l’Isle, dans la gueulle duquel on trouva la clochette dont estoit question, laquelle Guythurus donna à S. Paul ; cette Cloche se garde encore au Thresor de la Cathedrale de Leon, au son de laquelle on tient que plusieurs malades ont esté gueris & un mort ressuscité. Le Comte, voyant les miracles que Dieu faisoit par les merites de S. Paul, le supplia de délivrer ceste Isle de l’importunité d’un horrible Dragon, long de soixante pieds, couvert de dures écailles, lequel sortoit souvent de sa caverne, &, se ruant sur les prochains villages, devoroit hommes, femmes & bestiaux indifféremment. S. Paul consola le Comte & passa la nuit en prieres avec ses Prestres, &, le matin, dist la Messe & se mist en chemin vers la caverne du Dragon, avec ses Ornemens Sacerdotaux ; le Comte & le peuple le suivirent jusqu’à un endroit d’où ils luy monstrerent la caverne du Dragon & n’oserent

  1. La pieuse abesse s’appelait Sicofolla ; Albert Le Grand n’insiste pas suffisamment sur la vive affection qui existait entre le frère et la sœur et dont le récit de Wrmonoc offre le plus touchant tableau. — A.-M. T.
  2. Wrmonoc ne donne nullement ce nom au Castellum abandonné dont saint Paul devait faire sa ville Épiscopale. A.-M. T.