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Fuyant le clan royal, la famille et ses charmes,
Tout, et même l’éclat étincelant des armes,
Tu voulus ici-bas vivre en contemplateur,
De la céleste vie ô candide amateur !
Et des enfants pieux, tes compagnons d’étude,
Te suivirent fervents dans cette solitude.
Le poil noir d’une chèvre était ton vêtement ;
Un pain d’orge grossier, sans sel, ton aliment…
Délicieux jardin cependant, frais royaume,
Vrai paradis terrestre, Eden où tout embaume :
Là de l’ombre, des fleurs, et des fruits savoureux,
Parure de l’autel, régal des malheureux ;
À l’aurore, on voyait, sur les roses vermeilles,
Des anges voltiger, lumineuses abeilles,
Et la nuit, quand le chœur léger venait encor,
Les harpes de cristal a ce leurs cordes d’or,
Sur l’église, l’enclos, les cellules bénies,
Versaient incessamment des ondes d’harmonies,
Voilà comme des saints florirent ici-bas :
Ils vieillissaient en Dieu, mais ils ne mouraient pas.


Eux, ils ne mouraient pas, affirme la légende,
Tant l’amour, qui faisait leur âme douce et grande,
Répandait sous leur chair un sang limpide et fort !
Ils semblaient doublement à l’abri de la mort.
Sous l’amas des hivers pourtant leurs têtes blanches
Par degrés se penchaient ; neigeuses avalanches,
Leurs barbes à flocons descendaient sur leurs pieds.
Ils crurent à la fin leurs péchés expiés ;
Après tant d’oraisons, d’aumônes et de jeûnes,
Ils désiraient mourir pour ressusciter jeunes.
Alors le bon abbé venant à leur secours,
Supplia tant le ciel de délier ses jours,
Qu’un ange descendu dans l’étroite demeure
Parla de délivrance et lui désigna l’heure,
Ange resplendissant d’une telle beauté,
Que les yeux se fermaient, tremblants, à sa clarté.
C’était au lendemain. Or cette grande veille,
Pour celui qu’un bonheur si prochain émerveille,
Fut une effusion de grâces et d’amour,
Un cantique sans fin. — À la pointe du jour,
Faible de corps, l’abbé rassembla son chapitre,
Remit à Gwen-Ael et la crosse et la mître,
Puis, porté dans les bras de ses religieux,
Et sur terre brillant de la splendeur des cieux,
S’avança vers l’autel, dans les mains son calice
Prêtre, il voulait offrir un dernier sacrifice.
Là, nourri du froment consacré par sa main,
À ses frères joyeux il donne aussi le pain,
À l’extrême-onction il soumet son front pâle,
Et goûte la douceur d’un cœur pur qui s’exhale.

Ainsi près de la mer sans borne, en cet enclos
Où prièrent les saints, où sont épars leurs os,
Sous les murs renversés par nos fureurs civiles,
Chanteur à la campagne et muet dans les villes,
Par les vieux chroniqueurs en nos vieux temps versé,
Pour guérir le présent j’évoque le passé ;