a dû s’attarder au cimetière après les offices du bourg ; voilà des groupes qui dévalent vers le calvaire et, d’un de ces groupes, soudain, une voix féminine jette avec décision :
— Eiz livr (huit livres !).
— Huit livres et dix sous, riposte de l’autre côté de la route une voix moins assurée, celle d’une jeune femme à tête hâve qui tenait jusque-là l’enchère et qui se démasque du talus où sa présence nous avait échappé.
— Neuf livres !…
La lutte est engagée et elle devient tout de suite palpitante, presque dramatique vraiment, entre ces deux rivalités féminines dressées pour la possession de l’arbre porte-bonheur. Quels secrets peuvent se tapir sous ces cornettes en bataille ? Mais visiblement la partie n’est pas égale entre les deux adversaires. À mesure que la « criée » se poursuit, la voix de la première enchérisseuse faiblit, devient plus hésitante : les ressources de la pauvre femme ne lui permettent pas sans doute de dépasser un certain chiffre.
— Vingt livres !… Trente !… Trente-cinq !… Quarante !…
Un arrêt, pendant lequel on entend un sanglot étouffé, puis le traînement d’un pas qui s’enfonce dans la nuit.
— Personne ne met plus ? demande le vendeur… Adjugé !
L’acquéreuse de l’arbre s’en empare avidement : c’est une riche « chulotte » de la frairie, m’explique mon guide, une Kerandraon du clan des Kerandraon de Kernévénen, dont la tige, à la Saint-Jean dernière, s’est fleurie d’un tardif rejeton.
— Et l’autre ? la vaincue ?