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« de la situation déplorable de ces infortunés, M. Le Luyer s’empare d’un petit bateau trouvé sur la côte, y fait placer à la hâte du bois, des couvertures, du vin, de l’eau-de-vie, tout ce qu’il peut rassembler dans son modeste asile ; et, s’élançant dans cette frêle embarcation avec un nommé Corfdir et deux autres individus, il avance vers l’île distante d’une lieue environ, où succombent aux besoins, à la fatigue et aux inquiétudes, les malheureux qu’il espère soulager. Malgré la fureur des flots, la violence du vent et la faiblesse de l’embarcation, le brave prêtre touche à l’île et, grâce à sa surveillance et aux encouragements qu’il donne, cent quarante personnes (exactement 200) sont arrachées au plus grand danger et rendues à leurs familles ».

L’abbé Le Luyer ne s’en tint pas là. En 1831, nous l’avons vu, il avait sauvé l’équipage d’un navire jeté à la côte ; en 1832, il avait été la providence des cholériques. En 1841 encore, tout accablé d’infirmités, il retira de l’eau un journalier de Lannion, qui se noyait. La croix de la Légion d’Honneur, qui lui avait été décernée le 21 août 1838, était vraiment à sa place sur cette valeureuse poitrine. Rappelons enfin que l’abbé Le Luyer fut le premier maître et protecteur du peintre Jean-Louis Hamon (Voir L’Âme Bretonne, 1re série), qui fit de lui, étant encore très jeune, un portrait au crayon conservé à la cure de Trébeurden et dont la sûreté, la finesse d’exécution sont déjà fort remarquables. Quel dommage seulement que l’auteur des Vases pompéiens n’ait pas inculqué à son protecteur un peu de son respect pour l’archéologie ! C’est ce même abbé Le Luyer qui, faisant reconstruire l’église de Trébeurden, y employa les vieilles pierres du manoir de Keravel et — crime plus impardonnable — celles de la chapelle et du rempart de Kerario, lequel mesurait quatre mètres d’épaisseur et devait être magnifique, si l’on en juge par la belle « porte à la Médicis » (expression de l’abbé Lavissière) de la tour actuelle du clocher — porte qui provient de l’ancien manoir des Clisson.

Soyons indulgents malgré tout au brave ecclésiastique, en raison de ses bonnes intentions. Nous l’avons vu marin, architecte, etc. Il restait à le connaître es qualités d’annaliste et de folkloriste. Sans doute l’abbé Le Luyer maniait plus diligemment l’aviron que la plume ; son style n’est ni bien élégant ni même bien correct. Mais, enfin, nous ne lui serons jamais assez reconnaissants d’avoir porté son atten-