son Thabor, un des plus beaux jardins d’agrément qu’il y ait par le monde, sa porte Mordelaise, flanquée de grosses tours à mâchicoulis — tout ce qui lui reste de ses ducs —, le Véronèse et le Jordaëns de son musée, surtout ses Lices, ses Arcades et son Café de la Comédie, fameux à vrai dire moins par lui-même que par la clientèle panachée dont il était le rendez-vous aux premiers âges de la République. Waldeck-Rousseau, qui y fréquenta, en gardait le plus joyeux souvenir.
— Figurez-vous, me contait-il un soir, au Dîner des Bretons de Paris, qu’il était divisé, comme la Chambre, en droite et en gauche. Bien entendu, les républicains, Méhaulle, Jouin, Martin-Feuille, Brice, Hovius, Durand, Robidou, moi-même, nous siégions à gauche. À droite les conservateurs. Un terrain neutre, le centre, occupé par un billard. Mais il n’y avait pour tout le café qu’un billard, et les deux camps comprenaient d’acharnés pousseurs de billes. Des compétitions étaient à craindre. La gérante, du haut de son comptoir, prononçait : « Au tour de ces messieurs de la gauche ! » ou bien : « Messieurs de la droite, le billard est vacant. » Cette gérante était une belle et puissante dame qui, avec un bandeau sur les yeux et une balance dans la main, aurait fait une excellente incarnation de la Justice. Nous appartenions presque tous au barreau ; nous avions le respect des formes. Et c’est ainsi que des conflits sanglants purent être évités…
Le barreau rennais ! Il a sa page dans l’histoire. Et le fait est que, sans remonter aux jurisconsultes dont les statues ornent le perron du Palais (d’Argentré, La Chatolais, Touillier et Gerbier), bien peu de barreaux de province comptèrent autant d’illustrations, depuis le bâtonnier Méhaulle, représen-