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sur la table et se remet à l’égrener dans la nuit, interminablement.

Le drame en somme est fini avec cette mort du jeune trappeur et ce qui suit peut se résumer en quelques lignes : la vie a repris son cours régulier dans le « range » du père Chapdelaine ; catéchisée par le curé de la Pipe, qui lui explique qu’une fille comme elle, « plaisante à voir, de bonne santé, avec ça vaillante et ménagère et qui n’a pas dessein d’entrer en religion, c’est fait pour encourager ses vieux parents, d’abord, et puis après se marier et fonder une famille chrétienne », Maria a chassé « de son cœur tout regret avoué et tout chagrin, aussi complètement que cela était en son pouvoir ». Mais la mère Chapdelaine meurt à son tour dans de cruelles souffrances que ne réussissent pas à atténuer les pilules d’Eutrope Gagnon ni les malaxages du remmancheur Tit’Sèbe (et, par parenthèse, le récit de cette mort, l’éloge funèbre de sa fidèle et admirable compagne par le vieux père Chapdelaine sont des morceaux incomparables où l’auteur, sans le chercher, atteint à la grande ingénuité homérique) ; Maria, un moment hésitante entre Lorenzo Surprenant, qui veut l’entraîner à la ville, aux « États », et Eutrope Gagnon, qui veut la garder à la terre, au pays des ancêtres, comprend que son devoir est de rester. C’est un pays dur « icitte », sans doute. Mais ce pays si dur a des séductions, une éloquence secrète à laquelle on ne résiste pas. Empruntant sa voix profonde, les vieux fondateurs de la colonie, les pères de l’âme canadienne disent à Maria :

Nous sommes venus il y a trois cents ans et nous sommes restés. Nous avions apporté d’outre-mer nos prières et nos chansons : elles sont toujours les mêmes. Nous avions apporté dans nos poitrines le cœur des hommes de notre