La scène vraiment ( que j’ai dû abréger à regret) est d’une beauté toute mistralienne… Et, plus d’une fois en effet, Maria Chapdelaine fait songer à la Mireille du grand Provençal. Et l’on a aussi dans le dialogue précédent un savoureux échantillon du parler canadien, où gage est féminin, où icitte se dit pour ici, risée pour plaisanterie, règne pour existence, chars pour wagons, à bonne heure pour de bonne heure, adonner et adon pour faire plaisir, c’est correct pour c’est bien, oui, son père, pour oui, mon père, il mouille pour il pleut, je vous marierai pour je vous épouserai, se mettre chaud pour s’enivrer, s’écarter pour perdre le sens de l’orientation, ce qui équivaut là-bas à perdre la vie… Le langage populaire, en tous pays, s’ingénie à chercher des atténuations au dur mot mourir. Mais il ne sert de ruser avec la vérité et le jour qu’elle apprendra par Eutrope Gagnon que le pauvre François Paradis, parti seul, un soir d’hiver, « à raquette », sur la neige, dans ces bois sans limite, pour venir passer les fêtes de Noël auprès d’elle, a été surpris par une tempête de « norouà » et s’est « écarté », Maria n’aura pas besoin d’en apprendre davantage : elle sait ce que parler veut dire et qu’elle ne reverra plus son amoureux. Mais, comme elle est de ces fortes chrétiennes qui portent leur croix en dedans, elle ne pleure ni ne bouge et reste, dit l’auteur, tout le temps de la conversation entre ses parents et Eutrope, « les yeux fixés sur la vitre de la petite fenêtre que le gel rendait pourtant opaque comme un mur. » C’est seulement une fois seule qu’elle consent à écouter sa douleur. Encore son cœur simple craint-il bientôt « d’avoir été impie en l’écoutant » et, songeant que l’âme de François a peut-être besoin de prières, elle reprend son chapelet tombé